Les Tchadiens l’appellent « Zembada » alors que Bada est son nom de famille et Zène son second prénom composé. Très peu utilisent son premier prénom Mahamat. Qui est celui qui, depuis des décennies par son verbe et son audace, s’est distingué de sa génération. Est-il mis hors du jeu politique? Lui qui croyait que son étoile avec les législatives brillerait plus fort a subi un second revers avec l’échec de son recours devant le Conseil Constitutionnel, mais son enterrement politique n’est pas pour demain. Il faut compter avec le combattant Zène Bada durant cette campagne législative disent ses proches. Qui est Mahamat Zène Bada (MZB)? Portrait d’un « Lamyfortain » mû en redoutable homme politique.
Naissance biologique
« Zembada » est un enfant des indépendances. Il est né presque à la veille des celles-ci dans les années 59 à N’Djamena, capitale tchadienne. Ceux qui l’ont vu grandir au quartier Klémat (amis et parents) le décrivent comme un enfant turbulent qui a le don du verbe et le sens de la répartie. À chaque interrogation, il a souvent une réponse pertinente. Et qui parfois désarçonnant ses vis-à-vis. Le Secrétaire général (SG) du Mouvement Patriotique du Salut (MPS) a aussi grandi sous l’aile de son grand frère Maldoum Bada Abbass, un militaire de carrière. Un frère qu’il admire. Qu’il affectionne et qui représentait la figure paternelle. Le grand frère aussi voue à son jeune frère un amour infini. Il l’amène avec lui dans presque toutes ses affectations. Ce qui a permis au jeune Zène Bada de suivre une partie de ses études chez les pères jésuites à Sarh dans le Moyen Chari, précisément au réputé Collège Charles Lwanga.
Naissance politique
La naissance politique du SG est survenue lors du déclenchement de la guerre civile le 12 février 1979 au Lycée Félix Éboué. Zène Bada était jeune lycéen et un des leaders de la « Jeunesse mobilisées » des Forces Armées du Nord (FAN) de Hissène Habré à l’époque Premier ministre du président Félix Malloum. Le groupe de Zène Bada dirigeait cette grève dite « spontanée », mais hautement politique. Elle consistait, disent ses acteurs, à dénoncer le non-respect de la Charte Fondamentale signée dans la capitale soudanaise, Khartoum. Cette grève divisa les lycéens et servit de détonateur aux successives guerres civiles. Zène Bada joue un rôle déterminant. Il a été un des acteurs le plus impliqué et le plus en vue. Non pas par sa position, mais par son goût immodéré de l’audace. Le jeune activiste s’est alors sciemment ou inconsciemment engagé dans une lutte de pouvoir entre des civils, des politico-militaires, des militaires et des politiques. Depuis lors, il a fait de l’audace une philosophie politique et du goût du risque une arme L’intéressé lui-même n’est pas conscient par l’audace qu’il charrie ou qui le charrie. Sans s’en rendre compte, l’audace chez « Zembada » est une seconde nature. Une audace sans calcul politique. Sans forcer le destin. Sa vie d’homme politique se résume à cela. Parfois il gagne, parfois il perd, mais il ne change pas d’un iota.
Enivré par cette audace, Zène Bada prend fait et cause pour les FAN. Il est un fan du numéro deux des FAN, Idriss Miskine. Un homme aimé et adulé par des nombreux Tchadiens pour sa droiture, sa bravoure, son sens de la justice et de l’égalité. Il est « Miskiniste », mais tout en étant « zembadiste ». Il s’implique, s’active, son goût du risque impressionne au plus haut sommet.
Mars 1979, il s’intègre comme combattant de CCFAN durant l’autre Seconde Guerre civile, appelé par les Tchadiens « la guerre de 9 mois ». Habreiste convaincu, lui et quelques jeunes s’occupent d’inonder Kousseri, ville camerounaise voisine de la capitale, du Journal Al-Watan. Le choix de cette ville n’est pas fortuit. Des milliers de jeunes réfugiés y vivent et constituent des relais dans la lutte anti-libyenne. C’est aussi durant cette guerre qu’il a perdu l’usage de sa main gauche. Il en porte aujourd’hui les séquelles sans jamais se plaindre.
Décembre 1979, les FAN sont chassés de la capitale. Zène Bada est évacué à Kousseri où il reçoit des soins. Après sa guérison, il reprend le combat par fidélité et par nationalisme face aux visées d’annexion de la Libye.
1er juin 1982. Les FAN d’Hissène Habré entrent victorieux à N’Djamena. C’est l’effervescence sur les bords du fleuve Chari. Enfin les FAN ont ce pouvoir tant recherché. Zène Bada est aussi de retour. Plus audacieux que jamais. Il anime le Rajeunir, l’aile jeunesse de l’Union Nationale pour l’Indépendance et la Révolution (UNIR), le parti au pouvoir. Quelques années plus tard, Idriss Miskine meurt, la rafale des Hadjarayes s’intensifie, son grand-frère Maldoum Bada Abbass se rebelle contre la dictature Habréiste. Il gagne le maquis et crée un mouvement politico-militaire le MOSANAT. Zène Bada est pisté par la redoutable police politique. Il est jeté en prison. C’est le temps de la noirceur.
Tout N’Djamena susurre l’arrestation de l’audacieux jeune révolutionnaire. C’était le temps de la suspicion et de la délation permanente. La révolution s’est retournée contre le révolutionnaire. Il n’aura la vie sauve qu’en décembre 1990 avec l’arrivée du MPS. C’est la fin de la dictature. Zène Bada se réengage en politique, mais reste en marge. Pas pour longtemps…
Animal politique
Depuis 1990 Zène Bada est dans le MPS avec ses hauts et ses bas. Il est « Baministe » par filiation, mais aussi par un mélange de conviction et d’opportunisme. Il l’est plus encore depuis la disparition de son grand-frère. Il assume ses actions politiques personnelles et veille sur l’héritage Maldom. Il est par la force des évènements devenu le patriarche tant par sa disponibilité et par un de ses atouts : sa générosité. Tour à tour, il a été Maire du 2e arrondissement, Préfet, ministre de la Jeunesse et du Sport, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, directeur des grands travaux à la présidence, Maire de la Ville de N’Djamena, etc.
Compagnon et ami du président Deby Itno, ce dernier aime lui confier les missions difficiles. « Le président sait que Zène Bada est audacieux et téméraire », dit un membre de l’entourage du président. Et rajoute, « partout où il est nommé, il fait le boulot, partout. Le boss l’aime pour son engagement sincère et sans calcul ». C’est sans doute pour cela qu’il a été nommé à l’époque à la Mairie avec pour mission de faire déguerpir les habitants du vieux quartier Gardolé et construire l’actuel Hôpital de la Mère et de l’Enfant. Le président Deby Itno était semble-t-il, à l’époque, désespéré par le blocage du projet. « Une fois nommé, Zène Bada y est allé à coup de tractopelles et avec son audace légendaire. Il a réussi ce que personne n’a osé faire », dit une de ses connaissances.
Comme SG du MPS, le président Deby Itno et les militants l’ont choisi pour sa légendaire audace. Il cadre. Il recadre. Il débat. Bat campagne, élections ou pas, corps et âme avec toujours le menton levé et le verbe haut. Lorsqu’on l’interpelle sur le parti Les Transformateurs, il dézingue ses adversaires, « quoi? Je ne connais pas un parti légal portant ce nom. Le MPS est dans la réalité, dans le réel. Nous ne sommes pas un parti virtuel ». Au Lac, à Boma, lors de la victoire de l’armée tchadienne sur Boko Haram, il épate le défunt président et le parterre d’officiers avec sa tirade « M. le président, dans les réseaux, c’est un boum ».
À la veille des élections présidentielles, Zène Bada est toutes les heures au QG de son parti comme un général qui prépare la guerre, mais une guerre électorale dont il veut mener avec une audace assumée et le verbe haut tant l’animal politique est redouté et redoutable. Le Maréchal meurt en 2021 dans une contre-offensive de l’armée face aux rebelles du Front pour l’Alternance et le Changement au Tchad (Fact), MZB boude la nouvelle transition. Il se réconcilie avec elle. Il se voit jouer un grand rôle comme président de l’Assemblée nationale à la fin des élections législatives qui démarrent bientôt. Il est disqualifié. Il use de son droit de recours, mais échoue. Pourtant le même citoyen Zène Bada est légalement inscrit sur la liste électorale, a légalement et publiquement voté à la présidentielle, est légalement général de Police, mais est légalement empêché de monter la dernière marche et de se percher sur le fauteuil du président de l’Assemblée nationale. La politique est un métier dur et ingrat.
MZB est aujourd’hui face à lui-même. Fait-il face à la redoutable solitude politique? À son avenir tout aussi politique? Se retirera-t-il de la politique active? « Ni retrait politique à l’avenir ni solitude au présent. Zène Bada, c’est Zène Bada, il a repris le combat », dit un militant lamyfortain. Donc le SG du MPS a déjà fini de ruminer ce qui est lui tombé dans l’estomac. Et est déjà passé à autre chose. Il a dirigé ce long week-end une importante réunion du Bureau Politique du parti en assurant qu’il serait présent rassurant ses fidèles et tétanisant ses ennemis dans le parti. Il a dénoncé les manigances et les intrigues qui ont conduit à sa disqualification. Le combattant Zène Bada est encore politiquement vivant. Il y aura donc des flammèches durant la campagne législative qui démarre bientôt.
Bello Bakary Mana