samedi 14 décembre 2024

Comment faire face à Boko Haram, le serpent de mer qui refait surface au Tchad ?

Written by  Nov 05, 2024

Les terroristes de Boko Haram ont commis une attaque sanglante (durant la nuit du dimanche 27 au lundi 28 octobre 2024) contre les forces de défense et de sécurité tchadiennes dans la région du lac, provoquant une indignation allant jusqu'au Vatican. Éric Topona Mocnga, journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle, analyse.

Le Pape Français dans sa prière de ce 1er novembre à l’occasion de la solennité de la Toussaint, a exprimé « (…) sa sympathie au peuple tchadien, en particulier aux familles des victimes du grave attentat terroriste d’il y’a quelques jours ». Le Tchad vient à peine de conclure un processus électoral apaisé dont les temps forts auront été l’adoption d’une nouvelle constitution par voie référendaire, et de l'élection présidentielle le 6 mai. Ces scrutins n’ont guère connu les soubresauts redoutés par certains analystes. Les regards étaient plutôt tournés vers l’organisation des prochaines élections locales (législatives, communales et provinciales), mais surtout et dans l’immédiat, la gestion des récentes inondations qui ont provoqué d’importants dégâts matériels et humains.

La décision du chef de l’Etat, Mahamat Deby Itno, de prendre la direction des opérations militaires à travers « l’opération Haskanite » pour neutraliser le serpent de mer qu’est devenu au fil des ans cette hydre terroriste du crime de masse, témoigne à suffisance de la gravité de l’enjeu pour la préservation de la stabilité des institutions nationales et de l’intégrité territoriale du Tchad.

Prendre du recul afin de poser un diagnostic du mal

Mais au-delà de la légitime indignation et du concert de condamnations, il y’a lieu de prendre du recul pour comprendre cet acte de barbarie innommable et les moyens de s’en prémunir.

Il faut d’emblée relever que les terroristes de Boko Haram, comme en 2020 sur la presqu’île de Bohoma (toujours dans la région du Lac dans l'ouest du Tchad) ont choisi de s’attaquer à une caserne militaire des forces armées tchadienne avec le même mode opératoire qui consiste à combiner surprise et une extrême barbarie. Il est manifeste qu’il s’agit d’installer dans l’esprit des populations riveraines du Bassin du Lac Tchad, où les déplacés se comptent déjà par centaines de milliers, la conviction selon laquelle les forces armées régulières, notamment celles qui sécurisent cette zone dans le cadre de la Force multinationale mixte (composée des forces armées du Nigeria, du Niger, du Tchad et du Cameroun, ainsi que l'armée tchadienne), ne sont pas à mesure de leur garantir sécurité et quiétude.

Par ailleurs, le fait de commettre des meurtres de masse et de s’emparer du matériel militaire, révèle que le groupe terroriste a des difficultés à s’approvisionner en armement, parce que coupé de ses bases arrières, et par conséquent n’a guère d’autre choix que de reconstituer sa capacité de nuisance par des attaques asymétriques au cœur des casernes militaires. Ce butin de guerre est justement le moyen criminel par lequel Boko Haram renforce ses capacités de nuisance pour commettre des vols de bétail ou des kidnappings avec demandes de rançons dans les pays voisins, précisément à l’extrême-nord du Cameroun ou au nord du Nigeria.

Inquiétudes

Une fois ce diagnostic effectué, on ne peut guère faire l’économie d’un questionnement sur les conditions, voire les complicités qui ont rendu possible cet assaut terroriste. Il a sans doute bel et bien fallu que les terroristes de la secte soient bien renseignés pour planifier avec efficacité cette attaque. Sans exclure de possibles infiltrations au sein des forces de défense et de sécurité tchadiennes. Boko Haram tire avantage de sa capacité à se fondre au cœur des populations, à investir ses agents dormants qui passent pour de paisibles citoyens, ce d’autant plus qu’ils s’investissent dans les actes ordinaires de la vie sociale.

Au regard de l’immensité du Bassin du Lac Tchad et de l’enjeu géostratégique qu’il représente pour de nombreux pays qui font partie de l’environnement régional du Tchad et subissent tout autant les attaques terroristes de la secte islamiste, il est urgent de se tourner vers l’avenir et de se poser la question de savoir s’il n’y a pas lieu de changer de cap pour mener avec succès ce combat vital pour les peuples et les Etats.

 Appel à l'aide et changements politiques majeurs

Par ailleurs, l’appel lancé par le chef de l’Etat Mahamat Idriss Déby Itno en direction de la communauté internationale est plus pressant que jamais. C’est le lieu de se demander s’il n’y a pas urgence non seulement à réactiver le G5 Sahel, mais aussi à doter cet indispensable outil contre la menace terroriste de réels moyens qui lui permettrait d’y faire efficacement face. Or, force est de constater que le G5 Sahel, depuis sa création en 2014, n’a pas été doté de moyens à la hauteur de ses missions, en dépit du soutien affiché de la France et de l’Union Européenne.

Par ailleurs, la réactivation éventuelle du G5 Sahel et la redéfinition de ses missions, pourrait se heurter aux bouleversements géopolitiques récents dans la région, au premier chef, la décision du Niger, du Burkina Faso, du Mali de faire cavaliers seuls au sein de la nouvelle Alliance des Etats du Sahel (AES), devenu confédération.

Cette dispersion des énergies dans la lutte antiterroriste, cet émiettement de la puissance militaire pour des pays qui ont un ennemi commun à combattre, aussi redoutable qu’imprévisible, n’est-il pas de nature à réduire à néant leurs efforts ? Or l’article 4 de la Convention qui créé le G5 Sahel va explicitement dans ce sens et stipule : « Considérant les défis auxquels fait face la région du Sahel, notamment : le renforcement de la paix et la sécurité, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière (…) »

L’heure est plus que jamais à l’urgence d’y réfléchir car, tous les Etats frontaliers du Tchad, au-delà des Etats sahéliens, font face à la même menace quasi-existentielle. Il est impératif pour neutraliser le serpent de mer djihadiste de converger plutôt, dans un mouvement centrifuge, vers une mutualisation des forces et non vers un mouvement centripète de dispersion, avec ses risques d’affaiblissement et d’inefficacité pour tous.

Eric Topona Mocnga, journaliste au service Afrique-Francophone de la Deutsche Welle à Bonn (Allemagne).

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