Jamais, l’exercice d’un pouvoir absolu, illégal et illégitime sur le continent Africain n’a bénéficié des circonstances aussi favorables.
En effet, les convulsions géopolitiques qui traversent la communauté internationale et dont les manifestations les plus parlantes sont la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine, la question Palestinienne et sa conflagration du moment (avec les guerres simultanées d’Israël à Gaza, au Liban, en Syrie et en Iran), le conflit latent de basse intensité de la Chine contre la Taïwan, la fièvre des crises migratoires qui donne des urticaires à l’Europe et à l’Amérique du Nord, l’émergence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa) ou encore les poussées des partis extrémistes en Europe, ont entrainé non seulement, une perte de repères géostratégiques et des alliances, mais surtout un délitement de l’autorité des puissances, en particulier de l’Occident qui dictaient naguère la marche aux « petits » États.
Désacralisation des puissances Occidentales
Le délitement de l’autorité de l’Occident autrefois tout puissant, a pour corollaire, l’avilissement et la paralysie des institutions multilatérales (ONU, UA, CEDEAO, etc.) et des valeurs qu’elles incarnent notamment de démocratie, des Droits de l’Homme et de la bonne gouvernance, inspirées et garantie par l’Occident.
Contraint désormais de mettre sous le boisseau ses exigences de valeurs démocratiques et des Droits de l’Homme pour ne pas être mis hors-jeu diplomatiquement, militairement et économiquement par les régimes autoritaires de plus en plus nombreux et opportunément solidaires ainsi que la popularité transcendant les frontières nationales des hommes forts qui les animent, l’Occident qui n’impressionne désormais plus personne, subit, se détourne ou coopère lâchement.
Moralité, les putschs en Afrique ne suscitent plus la réprobation et encore moins la condamnation, si ce n’est du bout des lèvres lorsqu’ils ne sont pas purement acclamés comme dans la succession dynastique des Deby au Tchad. La Chine et la Russie qui d’ordinaire restaient passives, jouent désormais activement les béquilles financiers, militaires et diplomatiques des putschistes. Et pour se convaincre de l’impuissance désormais patente de l’Occident, il suffit de se rappeler le trésor d’imaginations en litotes, de la diplomatie et de l’armée étasuniennes pour ne pas braquer le général Tiani, président putschiste du Niger, qui venait pourtant de renverser Mohamed Bazoum, président démocratiquement élu et qui était leur allié de choix au Sahel. Peine perdue, Tiani finira par mettre hors du Niger les Boys en dictant le chronogramme et les modalités[1]. Les Boys seront également expulsés du Tchad dans les mêmes conditions. Il faudra se pincer pour le croire.
Quant à la France, sa prudence de gazelle à l’égard du capitaine Ibrahim Traoré qui venait de renverser le précédent putschiste, Sandaogo Damiba, n’a rien changé au destin de sa coopération militaire et de sa coopération tout court avec le nouveau Burkina Faso : ses forces spéciales Sabre ont dû faire leur paquetage et libérer fissa la base de Kamboisin à Ouagadougou le 18 février 2023 pour rentrer à Paris et ses diplomates sont expulsées du pays sans ménagement. Il est bien loin l’époque où l’armée française fait et défait les pouvoirs en Afrique. Elle pourrait toujours le faire du point de vue opérationnel, mais plus aucun politique à Paris n’acceptera d’en endosser la responsabilité politique et diplomatique. Preuve s’il en est, de la lente agonie de la France Afrique. Et tant mieux.
Il demeure cependant qu’en dépit de ces expulsions humiliantes et la présence de plus en plus marquée des Russes, chacune de ces puissances occidentales y compris la France, continuent de tendre la main aux néo-putschistes sahéliens qui pourtant la refusent bruyamment : soit par paranoïa, soit qu’ils ne veulent pas de témoins gênants sur le théâtre de leurs opérations militaires et politiques, mais surtout dans leur ménage avec Wagner hier et Africa Corps aujourd’hui.
Par ailleurs, le putschiste africain dont l’audience sous la géopolitique de la guerre froide, se limitait à l’un ou l’autre des blocs (soviétique communiste ou Occidental libéral), mais pas les deux à la fois, peut aujourd’hui revendiquer une double alliance et qui plus est, à ses propres conditions. L’héritier président Mahamat Deby Itno au Tchad avec sa double, triple ou quadruple alliances improbables (France, Russie, USA, Hongrie, Émirats Arabes Unis, Qatar, notamment) en est l’illustration.
Crépuscule de la Démocratie et des droits de l’Homme
Visiblement tout concoure au crépuscule de la démocratie libérale. Et pourtant, l’histoire en cours de l’humanité montre comme l’affirmait W. Churchill que celle-ci demeure « le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres ». La preuve, même ceux qui font tout le contraire de ce que la démocratie induit, organisent des élections générales frelatées pour s’en attirer les faveurs et la reconnaissance. Ils invoquent par ailleurs, la légalité démocratique et institutionnelle fussent-elles cousues de fil blanc, pour s’opposer ou se prémunir contre toute remise en cause de leur pouvoir alors qu’ils ont eux-mêmes ouvert la boîte à pandore des coups d’État militaires ou constitutionnels. Que croient-ils qu’il se passera un jour dès lors que leur pouvoir absolu ne laisse comme seuls alternatifs aux citoyens et opposants que la soumission ou le putsch ?
Pour ainsi dire, libérés de la pesanteur démocratique et droit-de-l’hommiste de l’Occident et des instances multilatérales, le néo-putschiste dispose et exerce désormais un pouvoir absolu. Il n’est même plus sensible aux gémissements des Organisations Non Gouvernementale (ONG). Quant aux médias, soit ils sont censurés sur commande par les régulateurs plus que jamais zélés, soit, ils pratiquent eux-mêmes de l’auto-censure.
Mais pour autant qu’est-ce que les néo-putschistes sahéliens de la décennie ont fait de leur pouvoir absolu en termes de plus-value de progrès social et économique, de bien-être et de sécurité pour leur population ? La question se pose aussi pour l’indépendance, la souveraineté et le rayonnement du pays au-delà des narratifs et poncifs éculés sur la pseudo-souveraineté, un patriotisme frelaté et un panafricanisme de simple tribune ? Bien malin qui pourra y répondre. Mais une des explications plausibles serait dans leur impréparation à l’exercice du pouvoir.
Déficit béant de stature, de vision et de culture politique et idéologique
S’il existe un trait commun entre les néo-putschistes de la décennie 2020, et ce n’est pas leur faire injure que de le relever, c’est leur inculture politique et idéologique, voire leur inculture, tout court. Que pensent-ils du pouvoir politique et de son exercice ? Que veulent-ils faire du pouvoir ? Sur quel critère (économique, social, environnemental, diplomatique, politique, etc.) demandent-ils à être évalués un jour ? Que veulent-ils que l’Histoire retienne de leur exercice du pouvoir ? Quelle est leur vision politique intrinsèque au-delà de ce que les « spin doctor » leur mettent sous le nez devant micros et caméras et qu’ils ânonnent souvent scolairement ?
Ils se revendiquent pour certains de la révolution. Mais peut-on être un révolutionnaire accompli sans culture de ce courant politique ; laquelle ne peut être acquise que par la formation et une lecture assidue des penseurs émérites. Sans aller jusqu’à l’affirmation de Thomas Sankara lui-même, selon laquelle « un militaire sans formation politique n’est qu’un criminel en puissance », l’impression que les néo-putschistes donnent est qu’ils n’ont qu’un seul crédo, un seul idéal : rester au pouvoir et durer aussi longtemps qu’ils le pourront ; peu leur importe le prix à payer et le sacrifice pour la population, bref le sort du pays.
Mobutu Cessé Séko, Modibo Kéita, Houphouet Bogny, Hissein Habré, Ngarta Tombalbaye, Mathieu Kérékou, Sékou Touré, Julius Nyerere ; Jomo Kenyatta notamment, étaient tous autant qu’ils le sont, des dictateurs finis, accomplis et féroces. Mais, et ce n’est pas versé dans la réhabilitation que de leur reconnaître une stature d’homme d’État ; une vision du pouvoir, contestable sans doute ; et une culture politique dense et forte alors même qu’ils n’ont pas tous fait des études universitaires et encore moins fait science po. Si leur bilan en termes de démocratie et des droits de l’homme frise le néant et donne le frisson, ils ont, pour certains, développé économiquement et socialement leur pays, et pour d’autres, donner un nom à leur pays et la fierté à leurs concitoyens par l’aura de leur stature dans les cénacles internationaux. Peut-on en dire autant des néo-putschistes en particulier, sahéliens[2] ?
À chacun de se faire son opinion, mais une chose est certaine, si l’Afrique continue de sélectionner ses dirigeants par l’hérédité ou sur la seule foi du statut militaire, elle donnera encore longtemps raison à René Dumont qui prophétisait déjà en 1962 : « L’Afrique noire est mal partie ».
Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit
Maître de conférences à l’université
[1] Tiani réservera le même sort à l’armée allemande. Seule l’Italie pour l’instant garde ses faveurs.
[2] Olingui Nguema du Gabon est un cas à part. Même s’il n’est pas hasardeux de penser qu’il a conquis d’autorité le pouvoir pour le lâcher de sitôt, la transition qu’il conduit reste ouverte et il n’a pas rempli les prisons du Gabon d’opposants. Ceux-ci au contraire continuent de rentrer d’exil pour y prendre part et exercent librement leurs droits politique et civile.