Le ministre de la Fonction publique et de la Concertation sociale Abdoulaye Mbodou Mbami a affirmé, dans une interview accordée à la télévision nationale tchadienne, que tout le monde n’est pas appelé à travailler à la fonction et que les jeunes doivent plutôt explorer le chemin de l’entrepreneuriat. Des voix se lèvent pour dénoncer les pratiques peu orthodoxes dans le processus de recrutement des agents de l’État. Reportage.
Selon le coordonnateur de la plateforme des diplômés sans emploi « Sabarna », Youssouf Soumaine « c'est désespérant et une fuite en avant de la responsabilité de l'État. Si on veut faire une prévision, il faut que cette prévision soit visible sur le terrain. Aujourd'hui, l'État tchadien qui d'ailleurs ne met pas du sérieux dans l'amélioration du système éducatif. Il a formé des diplômés dans plusieurs domaines sans les embaucher. Le ministre a bien fait de le relever parce que lui-même est dans une situation confuse. Si l'État est dans l'incapacité de recruter les diplômés à la fonction publique, il faut qu’il s'organise pour assainir l'environnement de l'entrepreneuriat », se lamente-t-il.
Les diplômés en chômage affirment que les ressources du pays sont mal gérées par les autorités qui ne pensent qu’à intégrer leurs familles et amis au détriment des enfants des paysans. « Il faut aussi savoir que ces diplômés surnommés « diplômés sans emploi » n'ont pas des notions sur l'entrepreneuriat. Comment vont-ils entreprendre ? », s’interroge Youssouf Soumaine.
« Cette déclaration est une insulte à l’égard des diplômés sans emploi », rajoute-t-il. Pour illustrer nos propos, nous avons formé des enseignants qui chôment, mais des écoles manquent d’enseignants. C’est paradoxal. Si vous n’avez pas d’argent ou vous n’êtes pas proche du régime, difficile d’avoir son intégration à la fonction publique tchadienne, fulmine Kemsol Chantale.
Certains jeunes évoquent les impôts et taxes qu’ils jugent excessifs pour entreprendre.
Des conditions favorables pour entreprendre
Pour Dr Yamingué Bétenbaye directeur du Centre de Recherche en Anthropologie et Sciences humaines et analyste politiquent, cette sortie du ministre de la Fonction publique est surprenante. « Je ne pense pas que le ministre de la Fonction publique a besoin d'utiliser les mots qu'il a utilisés ou d'avoir ce ton dur pour aborder un sujet comme celui-là. En toile de fond, on pourrait déplorer une sortie plutôt maladroite sur un sujet de grande importance pour la jeunesse, mais aussi pour la république », déplore-t-il. Il soutient qu’il est difficile de dire que les critères de recrutement à la fonction publique au Tchad sont respectés. « D'autant plus que les services de l'État communiquent très peu sur la modalité de recrutement à la fonction publique. C'est qu'il y'a les textes officiels qui régissent le statut et les engagements, les attributions du personnel à recruter, mis à la disposition de l'État. Et ce critère reste relativement flou », dit-il. L’enseignant-chercheur poursuit que le recrutement à la fonction publique se fait à la tête du client. De plus, on ne devrait pas parler de saturation de la fonction publique, mais plutôt de la faible capacité d'absorption. Dans un contexte comme celui du Tchad, la fonction publique est le gros employeur au niveau national. La fonction publique dans un pays ne devrait pas être l'employeur principal », indique-t-il. « Malheureusement, c'est le cas au Tchad qui se retrouve dans un contexte où la fonction publique, avec sa capacité d'absorption très limitée, se trouve être le principal employeur et cela pose problème. On pourrait insister plutôt à exhorter les responsables en charge du département de la fonction publique à clarifier la politique nationale, parce qu'on a l'impression d'être dans un pays qui ne dispose pas d'une politique claire d'emploi. On devrait aussi exhorter le ministère en charge de l'emploi à déployer plus d'efforts pour disposer de statistiques claires sur la question d'emploi ».
Il souligne que l’État doit faire des plaidoyers auprès du patronat ou des entreprises afin de faire en sorte qu'il ait un équilibre entre l'offre et la demande en matière d'emploi. « Certes, ce n'est pas à l'État de recruter de personnes en quête d’emploi, mais il lui revient de créer les conditions optimales pour qu'il y ait des structures capables d'accueillir les demandeurs d'emploi. Il faut que l'État clarifie sa politique nationale d'emploi, avoir un meilleur contrôle des statistiques et les proportions des personnes en quête d'emploi et les emplois disponibles », propose-t-il.
Nadège Riradjim