Une constante des élections présidentielles depuis celles de 2001, est la sur-candidature des ressortissants du Sud et la quasi ou mono candidature de ceux du Nord du pays. Est-ce-à-dire, en paraphrasant Jacque Chirac que la démocratie est un luxe pour le septentrion tchadien ?
L’historique et l’actualité des présidentielles y compris celles en cours en 2024, montrent que la concurrence pour la conquête et la conservation de l’électorat n’a lieu qu’à l’égard des populations autochtones du Sud. Celle du Nord ou supposé telle, et peu importe où celle-ci réside sur le territoire national, est réputée être une clientèle électorale captive pour le régime MPS et son chef : Deby père hier et son rejeton aujourd’hui. Et cela, de manière totalement assumée par les tenants du régime au pouvoir.
Par exemple et sans être exhaustif :
Le président Lol Mahamat Choua, malgré la longévité de sa carrière, son audience politique national certaine, sa critique du régime jusqu’à 2008, n’a pas renouvelé sa candidature aux présidentielles, après l’expérience de 1996
Ibni Oumar Mahamat Saleh, au firmament de sa popularité politique en 2008 n’aura pas l’occasion de concourir aux élections présidentielles de 2011 ; il l’a payé de sa vie. Idem de Yaya Dillo en 2024
Mahamat Ahmat Al Habbo avait un boulevard pour porter une candidature commune aux présidentielles de 2021, selon l’aveu même de Saleh Kebazo qui souhaitait lui passer la main. Celle-ci ne verra jamais le jour.
Mahamat Allaou Taher, président du RDP, nourrissait probablement des velléités de concourir à l’élection présidentielle en cours. Il découvre à son corps défendant que son statut de président est contesté, le siège de son parti est mis sous séquestre et sa propre liberté de mouvement est entravée avec le concours d’une Cour suprême jouant plus que jamais son rôle d’instrument de conjuration. Mais depuis, Allaou Taher, réinvesti président du RDP, écume le Kanem et le Lac pour battre campagne en faveur du candidat de Tchad uni. Faut-il y voir un lien ? Seuls les esprits mal tournés franchiront le pas.
MM Nassour Ibrahim Neguy Koursami, Ahmat Hassaballah Soubiane et Rakhis Ahmat Saleh, ont vu leurs candidatures recaler par le très vénérable Conseil constitutionnel.
C’est sans doute un fait du hasard, mais un hasard constant et prévisible l’est-il encore ? C’est vrai en mathématique avec les phénomènes aléatoires à large échelle. Mais en politique, il est permis d’en douter. Il en résulte qu’un homme ou une femme politique ressortissant du septentrion du pays qui dispose d’un fort potentiel et est susceptible de mobiliser aussi bien au Nord qu’au Sud du pays ne doit jamais émerger et s’il y parvient, ne doit pas pouvoir se présenter à l’élection présidentielle face à un Deby. Et pour ne rien négliger, on y convoque au soutien, des dignitaires moraux (religieux, imams et oulémas, sultans, chefs de canton, chefs de races, les « cadres du Nord », l’armée, la police, les services et le bouquet final : les affres des régimes de Ngarta, de Malloum ou les « événements de 1979 ». Et cela, alors même que les 40 années de pouvoirs du « Nord » et c’est un euphémisme, ont à minima rétabli, le balancier des atrocités, des oppressions et de la mal gouvernance. Il faut maintenir vive la mémoire de cette période sombre non pas pour un « plus jamais ça », mais au contraire pour entretenir le clivage afin d’empêcher la communion et in fine la culture du sentiment du vivre ensemble et donc de faire Nation.
Inversement, certes les élections présidentielles de par le monde, réservent souvent la surprise des candidatures inopinées, mais celles-ci restent anecdotiques. Au Tchad, depuis les présidentielles de 2001, et à une autre échelle de grandeur et de stupéfaction, dans les élections suivantes (2006, 2011, 2016, 2021, 2024), des candidatures, excusées de peu et sans mépris pour les intéressés, sorties de nulle part, sont légion dans les rangs des ressortissants du Sud. Qu’est-ce qui peut expliquer à défaut de le justifier qu’une personne certes respectable, mais dont la surface, l’épaisseur et l’envergure politiques et financiers ne permettraient de concourir qu’à une élection de chef de village, puisse valider sa candidature à une élection présidentielle qui est la mère voire la quintessence de la compétition politique ? Qui plus est, de manière itérative de présidentielle à présidentielle ? Un esprit malsain en conclurait que ce sont des candidatures suscitées et financées par le régime à une seule fin : empêcher l’émergence d’une candidature représentative et capable de fédérer en particulier les forces politiques issues du Sud. Ils n’ont jamais pourtant fait le poids face à Yorangar Ngarledji en 2001, face à Saleh Kebzabo en 2016 et ne pèseront pas le poids d’un atome face à l’ouragan Succès Masra en 2024, mais sont toujours dans le décor à quelle fin ? Mystère !
Cela étant, l’incurie managériale du Mouvement Patriotique Salut (MPS), parti au pouvoir, depuis 34 ans n’épargne aucune province, préfecture, canton, village, carré et Férik de Rig-Rig à Adré et de Mbaïbokoum à Bardaï. Non seulement elle obère le quotidien de la population dans son ensemble, mais compromet l’avenir de sa jeunesse et donc du pays à l’heure où les autres planifient l’Émergence. Pourquoi dès lors, laisser penser ou faire croire que ce régime est le seul à même de garantir les intérêts matériels, religieux et moraux du septentrion ? Un régime toujours prompt à accuser les adversaires de communautarisme, mais qui organise l’impossibilité pour les autres candidats de faire campagne dans certaines régions du septentrion alors même qu’il dispose et organise à sa guise sa propagande dans les moindres recoins méridionaux.
L’alternatif au pouvoir MPS n’est pas une garantie de la transformation du Tchad en pays de Cocagne. Mais pour sûr, tout autre candidat et peu importe le porte profil de formation et de carrière, à condition d’avoir l’onction de l’élection démocratique, ne peut faire pire que le pouvoir MPS avec qui le pire n’est d’ailleurs jamais sûr. Puisque non content d’avoir fait tomber le pays dans le fond de l’abysse, il continue de creuser pour l’enfoncer encore davantage. Par ailleurs, l’élection d’un autre candidat que celui du MPS ne sera pas sans effet psychologique sur la population en termes de respiration démocratique, de libération d’énergies pour les initiatives individuelles et collectives qu’elles soient entrepreneuriales ou sociales. Mais aussi de l’engouement pour l’écriture collective d’une nouvelle page du pays.
Que pensent les intellectuels tchadiens en cours à la Cour, dans les Palais du prince et sur les plateaux de télé et radio d’État de ce schisme électorale entre le Nord et le Sud ? Forts en gueule pour professer et ânonner les platitudes et lieux communs du « vivre ensemble » et de l « ’unicité et unité du pays » sans y croire et les pratiquer eux-mêmes, ils deviennent aphones ou sont mezza voce dès qu’il s’agit de défendre les opprimés et les discriminés, les veuves, orphelins et retraités, les victimes de sévices et abus du système sécuritaire du régime ou encore de l’iniquité judiciaire, devenu la marque de fabrique de la Cour suprême du pays.
Le Tchad est certes malade de ses forces de défense et de sécurité, et surtout de ses généraux à la liste interminable, de son administration, de sa justice, des hommes et femmes politiques alimentaires, bref de ses « Sept plaies »[1] et sans doute davantage. Mais il l’est aussi particulièrement de ses intellectuels manifestement intéressés, mais sans courage pour l’assumer au grand jour.
[1] A. Mbotaingar, https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/2373-les-sept-plaies-du-tchad
Abdoulaye Mbotaingar