Le souffle de l’Espoir, jamais élevé au niveau où l’ont hissé Les Transformateurs et leur leader est en train de tomber à plat à vue d’œil comme un ballon de baudruche : en cause la fin de l’illusion de partage du pouvoir et la participation au « blanchiment » et à la légitimation de l’héritier Deby.
Deby père n’avait ni la culture, ni la pratique du partage du pouvoir. Le dialogue et encore moins, le débat politiques ne comptaient pas dans son bréviaire. Il faisait corps avec l’État et de ce fait, soumettait les partenaires et adversaires politiques par la violence et l’argent. Mise à part Fidèle Moungar, alors Premier Ministre de transition en 1993, qui fort de la légitimité d’une Conférence Nationale Souveraine (CNS) unanimement célébrée, avait tenté au risque de sa vie et de sa carrière politique, non sans panache, de partager réellement les manettes du pouvoir avec Deby père, aucun des seize locataires suivants de la primature, n’a, ne serait-ce qu’en apparence, incarné un copilote dans le cockpit de l’avion Tchad. L’héritier désormais au pouvoir et qui a vu le père faire, ne peut que lui emboiter le pas[1]. Pour preuve, la reddition en règle et fissa des 220 chefs de partis politiques soutenant, résignés, sa candidature à l’élection présidentielle. Son rapport au leader du parti Les Transformateurs en une autre.
Pour celui-ci, une chose était de se prévaloir de l’« Accord de Kinshasa » pour rentrer d’exil au bercail, auprès des militants ; une autre est de devenir Premier Ministre en vertu de cet accord de désarmement politique[2] qui confine par sa lettre et encore davantage, à l’épreuve du pouvoir, à une session de renoncement, de reniement et de « la supplice de la goutte d’eau ». Certes, l’évaluation de la performance managériale d’un Premier Ministre en seulement deux mois et demi reste un exercice un peu hasardeux. Certes la mal gouvernance au Tchad est endémique et chronique. Et il ne viendra à l’idée de personne de croire que son traitement même par le meilleur des spécialistes pourrait être instantané. Mais encore fallait-il un protocole de traitement, une mise en condition du patient pour une thérapie lourde et un début de mise en œuvre ? Or qu’a-t-on vu de tel pour le patient Tchad depuis le jour de l’an 2024 et la prise de fonction du Premier Ministre, ex-principal opposant ? Rien, « Walou » et « Nada », si ce n’est les seules nominations à la primature : soit ni plus, ni moins que le rayon d’action de ses deux derniers prédécesseurs Saleh Kebzabo et Pahimi Padacké Albert dont- il pourfendait pourtant le statut d’accompagnateurs. Pour le reste, des formules et des slogans et encore des formules et des slogans, ânonnés à longueur de temps qu’ils finissent par sonner creux et faire douter même certains des plus convaincus.
Des actes pour le moins décisifs pour le devenir et le destin de la Nation Tchadienne ont été posés par le régime Deby fils sans qu’il soit possible d’y déceler même avec la plus performante des télescopes, la moindre empreinte ou inflexion à mettre au crédit du locataire du moment de la Primature. Il en est ainsi de la loi instituant le code électoral, de la désignation exclusivement mono-partisane des membres de l’Agence de gestion des élections[3] (ANGE) et du Conseil constitutionnel, de la non révision des listes électorales ; et la liste est loin d’être exhaustive.
Il est manifeste que dans la gestion du processus électoral, le ministre de l’Administration du Territoire qui en est à la fois l’architecte, le maître d’œuvre et le chef d’orchestre, évolue dans un silo parallèle à celui du Premier Ministre. Il ne répond, ne rend compte et ne prend ses ordres que de l’héritier Deby, reléguant le Premier Ministre au simple statut de spectateur comme l’étaient ses deux prédécesseurs dans la fonction auprès de Deby fils. Pour preuve, le ministre d’État avait poursuivi ostensiblement le déroulé accéléré de son chronogramme du processus pré-électoral en janvier 2024 dans son silo comme s’il n’y avait pas eu de changement de locataire à la Primature alors même que cette occurrence impose à défaut d’une pause, à minima, une réévaluation des projets gouvernementaux d’importance et de priorité, que le nouveau Premier Ministre est institutionnellement censé en être l’endosseur. On peut d’ores et déjà prendre le pari que c’est dans les bureaux de ce ministre et non dans les urnes que se décidera le sort du scrutin général du 6 mai prochain par une distribution totalement arbitraire des suffrages entre les concurrents avec un traitement privilégié pour l’héritier. L’ANGE et le Conseil constitutionnel en assureront la ratification dans une partition réglée comme du papier à musique. Quant au PM, comment dire,…
La limite de ce partage supposé du pouvoir trouve encore une illustration dans le cas, de ce « voyage en absurdie » avec l’arrêté du ministre des Finances accordant la gratuité de la consommation de l’eau et de l’électricité. Et il vaut mieux espérer que le Premier Ministre n’ait pas été dans la boucle de cette mesure manifestement unilatérale, prise « sur instruction du Président de la transition » comme l’indique l’arrêté lui-même. Car comment comprendre que du haut de son magistère d’économiste émérite, mais aussi de politique éminemment averti, qu’il puisse décider ou consentir à accorder la gratuité d’un produit ou d’un service quasiment indisponible, frisant l’escroquerie politique ? Pire, les Tchadiens raccordés aux réseaux de distribution d’eau et d’électricité qui constituent la classe aisée à riche et habitants les centres urbains, ne représentent pas plus de 15 % de la population. Quid alors des 85% restant, exclus de cette faveur de l’action publique et qui subissent ainsi la double peine ? On ne peut faire plus inique, impertinente et inégalitaire comme politique publique. Et puis quid du chiffrage et du financement de cette mesure quand on connaît la situation toujours tendue de la trésorerie des deux entreprises publiques assurant la fourniture des services d’eau et d’électricité, incapables qu’elles sont de financer la modernisation de leur outil de production et des réseaux de transport et de distribution ?
Mais, inversement, et à rebours, le Premier Ministre a endossé publiquement des décisions qui interrogent la rationalité politique à la veille des élections et de surcroît en période de forte augmentation des prix de produits et services de consommation courante : la hausse des prix du carburant pour ne citer que celle-ci. Cette hausse du prix du carburant frappe indistinctement les riches et les pauvres et sans mesures d’accompagnement pour les seconds ; usagers quotidiens des transports en commun et de motocycles ; moyens de transport sans lesquels ceux-ci ne peuvent gagner leur pitance journalière. En plus d’être inflationniste, cette mesure qui atrophie drastiquement le pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres, relève du suicide politique. Par ailleurs, que dire de son « soutien inconditionnel aux forces de défense et de sécurité » ; les mêmes qui ont massacré et blessé en avril 2021 et en octobre 2022, des centaines de militants et sympathisants Transformateurs. On ne le reconnait plus. Rendez-nous Succès Masra, serait-on tenté de crier ?
Par ailleurs, il est évident que faisant office de vaisseau amiral de l’opposition, son ralliement inopiné au régime, qui plus est, en queue de comète de la transition, a porté un coup rude à Max Kemkoye, feu Yaya Dillo et leurs compagnons d’infortune, restés aphones et inaudibles, malgré leur détermination à hisser à nouveau le blason d’une opposition sérieuse. Le coup est d’autant plus incisif à l’opposition que le ralliement de celui qui en était le porte étendard a entre autres, pour effet de légitimer aux yeux d’une communauté internationale toujours accommodante avec le régime, le processus électoral bancale et non inclusif que l’opposition n’avait de cesse de dénoncer, lui le premier. Le but ultime est d’imposer le fait accompli à la Commission Paix et Sécurité (CPS) de l’Union Africaine (UA), seul obstacle désormais, sur le chemin de la normalisation de la « dynastisation » du régime. Le Président de transition et le PM, étant tous les deux candidats à l’élection présidentielle, la CPS ne saurait, eu égard, par ailleurs, à leur large représentativité supposée sur l’échiquier politique national, ne pas approuver la candidature du premier sans réserver le même sort au second, symbole supposé de l’inclusivité du processus et de la pluralité du scrutin. C’est magistralement bien joué de la part du régime. Mais le leader des Transformateurs n’était pas obligé de faire la courte échelle à l’héritier Deby pour rien ou si peu. Aucun dividende politique, sociale et économique ou pacification du pays pour la masse des militants et sympathisants et au-delà, pour le peuple dont il se revendique.
Il est vrai, qu’il n’est pas le premier des leaders de l’opposition et graines d’espoir de la politique tchadienne à céder à la tentation du confort de l’accompagnement du régime Deby en plantant au milieu du gué : partenaires, militants et destin du pays. Jean Alingué Bawoyeu, Lol Mahamat Choua, Wadal Abdelkader Kamougué, Gali Ngoté Gatta et Saleh Kebzabo, pour ne citer que les plus prometteurs y ont été pareil avant d’être rapidement jetés à la poubelle comme des vielles chaussettes. À croire, selon la formule de Guy Mollet[4] qui a fait florès à propos de la Droite française, que « l’opposition politique tchadienne est la plus bête au monde », nous n’osons le penser et encore moins le croire.
Abdoulaye MBOTAINGAR
Docteur en droit
Maître de conférences à l’université
[1] Voir, A. Mbotaingar, Au nom du père, du fils Deby et du Cynisme : https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/2237-au-nom-du-pere-du-fils-deby-et-du-cynisme
[2] Voir, A. Mbotaingar, Accord de Kinshasa ou mirage d’une co-gouvernance :
[3] La mal nommée ANGE
[4] Guy Mollet, secrétaire général du SFIO, ancêtre de l’actuel parti socialiste français, dans un discours dans la ville de Béthune le 10 décembre 1957.