Dire que les Tchadiens se sont peu déplacés pour aller voter le 17 décembre dernier est un euphémisme. Ils ont simplement refusé d’aller choisir. C’était prévisible. Cela a été visible. Incontestable. Ce refus est une autre manière de s’exprimer. Les Peuls ont un adage qui décrit bien cette situation « le silence est une parole puissante, plus forte que les mots ».
Alors, comment comprendre cette faible participation? Quel est le message? Quelques raisons pour expliquer ce silence…
D’abord, la première raison. Les Tchadiens ne veulent plus de ce système politique archaïque et désuet imposé par le défunt Deby père, son parti politique le Mouvement patriotique de salut (MPS), ses alliés de circonstance ou de toujours et ceux qui accompagnent ce système vaille que vaille. Cela depuis plus de 30 ans. Ils attendaient de Deby fils l’application du concept philosophique de la « Tabula rasa », faire table rase. Autrement dit, effacer le passé et recommencer à zéro. Renaître à nouveau comme disent les philosophes. Écrire autre chose sur une feuille vierge. Ils lui ont donné cette chance, mais il n’a pas su ou pu la saisir. Il s’est laissé embobiner dans une transition sans ambition où des « momies politiques » ont tenu à bout des bras un système agonisant. Objectif : conserver des avantages à leur seul profit à coups de combines politiques.
Ensuite, la deuxième raison. Les Tchadiens vivent dans l’indigence la plus crasse. Ils manquent de tout. Du minimum vital : pas d’électricité chez eux malgré la manne pétrolière, pas des routes malgré le pétrodollar, pas de soins malgré le « pétrocfa ». Les Tchadiens ne mangent pas à leur faim, s’ils arrivent à le faire, c’est une fois par jour. La cherté de vie est insupportable. Ils ont l’impression que personne ne les écoute, l’État est aux abonnés absent. Ils constatent qu’une minorité d’élite coopte toutes les richesses, font de l’entre-soi, vivent entre eux, se promeuvent entre eux en s’autoapplaudissant, se défendent entre eux, s’accusent entre eux, etc. Et les nargue chaque jour, comme ils disent, qu’Allah fait naître le jour et la nuit. Alors à quoi sert le vote? À rien, selon leur expérience.
Enfin, la troisième raison. Les Tchadiens ne veulent pas entendre ceux qui parlent en leur nom. Qu’ils soient opposants, amis du pouvoir, anciens ou nouveaux alliés. Déjà, certains acteurs politiques ou de la société civile crient victoire en affirmant que les Tchadiens ont choisi leur option : « le boycott » a gagné, le « Non » est gagnant, le « Oui » gagnera. Certains ont salué leur « patriotisme », d’autres ont applaudi leur « calme », beaucoup parlotent, mais les Tchadiens sont silencieux. Ils observent, médusés, ces agitations, ces récupérations. Ils n’attendent ni Messie ni prophète. Par leur faible participation, ils veulent que le président de transition renverse la table. Ils veulent que des nouvelles têtes émergent et qu’un nouveau système de gestion et de partage des richesses soit inventé: par exemple le fédéralisme. Pourquoi pas? Même Deby père, désespéré, l’avait évoqué comme solution. Surtout que l’État unitaire décentralisé « fortement » ou « faiblement » n’a apporté que misère, guerre et népotisme. Il est minuit moins 5 minutes pour Deby fils. Sinon, la prochaine fois, les Tchadiens couperont des têtes. À commencer par celui du chef, enfin, peut-être…
Bello Bakary Mana