Retrait de l’armée française du Sahel : Fin de soutien au pouvoir tchadien ?

Written by  Oct 24, 2023

En refusant à l’armée française le transit par le Bénin de sa retraite forcée du Niger, refus qui ne lui laisse que le Tchad comme seule issue de sortie du bourbier sahélien, les militaires au pouvoir à Niamey ont offert au président de la transition tchadienne, Mahamat Idriss Deby, le fils héritier, une nouvelle occurrence de se remettre en selle, comme naguère, l’invasion du Nord du Mali par les djihadistes en 2012 a offert à son père Idriss Idriss Deby Itno, père, l’occasion d’une réhabilitation par la France de François Hollande qui le jugeait jusqu’alors infréquentable.

Ceci explique selon les termes mêmes du communiqué de la présidence du Tchad du 18 octobre 2023, le motif de la dernière audience élyséenne de l’héritier. Il va de soi que celui-ci est venu à Paris négocier les dividendes du droit de passage consenti à Barkhane sur le territoire national. Il s’agirait notamment d’obtenir de la France, une mobilisation de la communauté des bailleurs de fonds pour financer les opérations électorales projetées, alors même que ces derniers sont convaincus depuis longtemps par l’insincérité et la non-inclusivité du processus préparatoire en cours. Mais il s’agirait aussi d’obtenir une modération de la critique du régime par l’Hexagone voire la passivité de celle-ci à son égard, à défaut d’un soutien actif. Néanmoins, les stratèges et sherpa du système doivent prendre garde de ne pas trop pousser l’avantage de cette diplomatie militaire qui a tant réussi au régime car les donnes géopolitique et géostratégique ont tourné, et plutôt défavorablement.

Premièrement, l’alibi toujours brandi par Paris, selon lequel le régime de Deby est le bras armé et l’allié fiable de la France dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et qui confère une assurance-vie à la dynastie au pouvoir à N’Djamena a vécu. Comme le relève le journal Le Monde, « la justification de la présence militaire française au Tchad pose d’autant plus question que l’opération « Barkhane », dont N’Djamena abritait le centre opérationnel, est officiellement terminée depuis novembre 2022. Éloigné géographiquement des zones où se mène le combat contre les groupes djihadistes opérant au Sahel, le Tchad, plus encore depuis la rupture (de la France) avec Niamey, n’est plus un lieu de projection pour l’armée française. Se pose dès lors la question du maintien du contingent déployé sur place »[1].

En effet, la France ne menant plus elle-même de combat contre le terrorisme au Sahel, n’a, par voie de conséquence, plus besoin de présence de ses troupes sur le sol tchadien et encore moins, besoin de supplétifs de l’armée tchadienne pour le combat. Des militaires tchadiens dont l’engagement et le sacrifice au combat en lieu et place ou au côté des troupes françaises, ont toujours permis au système Deby, de marchander auprès de la France une assurance-vie. Toutes les rébellions armées tchadiennes depuis le MDJT de Youssouf Togoïmi jusqu’au FACT de Mahamat Mahdi Ali l’ont éprouvée à leur dépens.  

Qui plus est, l’alibi du G5 Sahel a aussi vécu. Cette organisation qui était déjà en état de mort cérébral depuis le retrait du Mali en 2022, est définitivement enterrée avec la signature le 16 septembre 2023 de la Charte du Liptako-Gourma portant la création de l’Alliance des États du Sahel (AES). Le Tchad, épargné par la gangrène AQMI et JNIM, mais également éloigné par la géographie de leur terre d’élection, a pourtant trusté aux pays du champ, le leadership de l’organisation sans pourtant en avoir les ressources financières et logistiques. Il l’a fait dans un seul but très intéressé : la quête insatiable d’honorabilité et de gloire de Deby père, fut-elle, en engloutissant tout le « dividende » de l’exploitation du pétrole, mais aussi, au prix des nombreuses vies humaines dans les rangs des troupes, transformées en chair à canon, sans égard pour les rescapés, les blessés, les orphelins et les veuves. C’en est fini ; il faudra aux stratèges trouver d’autres véhicules pour espérer continuer à promouvoir à l’international le régime. Le renversement opportuniste des alliances militaires par les trois pays du front sahélien en faveur de la Russie et de son industrie privée de la guerre (Wagner), de la Turquie, de la Chine et de l’Iran, prive l’alliance militaire entre N’Djamena et Paris de tout objet, conduisant à son épuisement. Paris n’a dès lors plus de raison de ménager le régime Deby.         

Deuxièmement, il est évident que la France n’a d’intérêts économiques au Tchad que dans l’imaginaire pavlovien de ses détracteurs compulsifs[2]. La raison d’être de la présence de son armée au Tchad procède d’une part, des considérations géostratégiques en raison de la centralité du pays au cœur de l’Afrique et d’autre part, des considérations de l’entrainement, du recrutement et de la gestion des carrières de ses propres militaires par son état-major (voir en ce sens le remarquable article de Élise Vincent, « Le désarroi des militaires français face au retrait des troupes d’Afrique », Le Monde, 26 septembre 2023). Or, ces considérations géostratégiques et de gestion de ressources humaines n’ont plus assez de poids dans la balance. Depuis que par l’effet domino, l’armée française est chassée du Mali, du Burkina Faso et du Niger, l’opinion publique française, dont le soutien à l’armée demeure fort, comprend encore moins le maintien du déploiement de celle-ci dans un pays du Sahel. Elle supporte très mal l’humiliation subie par celle-ci[3], devenue malgré elle, l’objet de tous les fantasmes, mais aussi le paillasson, l’épouvantail, le repoussoir, si ce n’est le marchepied des militaires en mal de pouvoirs. L’opinion ne tolérera pas à Macron de ne pas épargner l’institution d’une nouvelle humiliation en n’anticipant pas son retrait à temps du Tchad au risque de l’exposer encore au même sort qu’au Mali, Burkina et Niger. Même si Macron est un président en fin de mandat et non rééligible, il ne peut faire fi de ce ressenti et surtout du contexte de la coagulation des agitations antifrançaises menées par des entrepreneurs politiques néo-panafricanistes sur le terreau fertile d’un supposé ou réel néo-colonialisme évidemment arrogant français.  

Troisièmement, le soutien involontaire de Macron à la succession dynastique de Deby par sa venue et sa déclaration de N’Djamena (voir en ce sens, A. Mbotaingar, « Emmanuel Macron et la succession Deby : de l’incompréhension à l’incrédulité », Ialtchad.com, 30 avr. 2021) a oblitéré profondément l’universalisme de la voix de la France et son exigence de la vertu démocratique. Ce soutien a surtout contrarié et affaibli la parole de la France face aux juntes des trois pays du Sahel qui pour la désarmer, lui opposent avec délectation sa politique de double standard vis-à-vis des putschistes. Deby fils qui sait ce qu’il doit à la France, compte parmi ses partisans, des personnes émettant des signaux plus ou moins forts en direction de la Russie et de Wagner. Il n’entretient lui-même sa proximité officielle avec la France que dans la mesure où celle-ci se soumet et cautionne toutes ses abjections (massacres du 20 octobre, l’élasticité de la transition, l’exclusion et la répression de l’opposition politique, le verrouillage de l’organisation des élections) ; règle ses problèmes de trésorerie en l’aidant à boucler le budget national ou à restructurer la dette comme ce fut le cas récemment avec la dette Glencor dans le cadre commun du G20. À la première dénonciation de ses travers par la France, Deby fils n’hésitera pas à actionner les leviers des manifestations anti-françaises (comme celle du 14 mai 2022 dont Wakit Tama n’était que « l’idiot utile »). Il n’hésitera pas non plus à user de toute la gamme des classiques désormais éprouvés avec efficience par les militaires au pouvoir dans les trois pays du Sahel, contre la France pour asseoir et conforter son pouvoir. C’est ce que relève au demeurant le journal Le Monde dans l’article précité : "il n’est pas exclu que le pouvoir tchadien décide de mobiliser lui-même l’opinion hostile à la présence militaire française. « C’est une carte à jouer face aux critiques sur la démocratie ou le respect des droits humains » (…). Ce serait aussi un moyen facile pour le président Mahamat Idriss Déby de gagner des points dans l’opinion et de pallier son manque de légitimité démocratique ».

Quatrièmement, de toute évidence, malgré son impopularité, malgré la Charte Africaine de la démocratie, malgré les résolutions du Conseil Paix et Sécurité de l’UA, malgré la résolution du parlement Européen, le système Deby est décidé à conserver le pouvoir. Il n’organise les élections générales en 2024 que dans le seul dessein de légitimer la succession dynastique. Un vrai traquenard pour la France. Or, Macron affirmait solennellement depuis le perron de l’Élysée que « la France n’était pas pour un plan de succession (…), elle ne sera jamais au côté de ceux et celles qui forment ce projet »[4]. Le système conduit pourtant tout droit le Tchad à ce plan de succession qu’il dénonçait. Faire partir maintenant les troupes du Tchad, permettrait à tout le moins de ne pas y mêler la France et de l’en rendre comptable. Mieux, ce retrait permettrait de priver le système d’un alibi, d’un marchepied et d’un paillasson. Mais c’est surtout ré-enchanté la grandeur d’âme de l’universalisme de la France en Afrique. Par ailleurs, s’appuyer sur le régime Deby pour espérer maintenir une quelconque influence de la France en Afrique est une gageure tant le déficit d’image de la dynastie au pouvoir y est béant. Il l’est d’autant plus que l’Élysée qui en est convaincu lui-même, entretient une fréquentation honteuse de Deby fils dont les audiences avec Macron ne figurent ni à l’agenda, ni dans les comptes rendus officiels de l’Élysée. Elles ne reçoivent pas non plus les honneurs des médias accrédités à l’Élysée. Deby fils est pourtant un chef d’État en visite de travail en France, dixit la présidence tchadienne !  

Enfin, les convulsions actuelles de la relation de la France à l’Afrique francophone sont la traduction de la fin d’un cycle inéluctable du post-colonialisme empreinte de connivence parfois jusqu’à l’ignoble entre les dirigeants de l’Afrique francophone et ceux successifs de la France. Tant mieux que les convulsions en cours permettent d’y mettre un terme afin de repartir sur des nouvelles bases saines et plutôt économiques et scientifiques, sans sentimentalité. Les bases militaires françaises ne peuvent dès lors en être ; à commencer par celles présentes au Tchad.

Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit, maître de conférences à l’université d’Orléans

[1] Le Monde, du 11 octobre 2023, « Chassés du Niger, les soldats français se replient provisoirement au Tchad, dernier allié de Paris au Sahel », par C. Valade.
[2] Comparativement à ses intérêts, notamment au Nigéria, en Angola, à l’Afrique du Sud. Le chiffre d’affaires de la filiale locale de TotalEnergie qui est un simple revendeur parmi d’autres des produits de la raffinerie nationale CNPC et dont l’essentiel des établissements est exploité en franchise par les tenants du régime, est epsilonesque par rapport à ceux condensés du groupe au niveau mondial. Par ailleurs, la difficulté pour le MEDEF (patronat français) International de constituer une équipe de volontaires de dirigeants d’entreprises pour une mission en octobre au Tchad en atteste.
[3] En particulier les conditions et modalités totalement subies de son départ du Niger.
[4] Déclaration du 27 avril 2021 au côté de Felix Tshikedi alors président de l’UA

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