dimanche 24 novembre 2024

La servitude de Mahamat Hissein

Written by  Jan 25, 2004

Où s'arrêtera la fulgurante ascension de Mahamat Hissène ? L'ancien directeur de publication du Progrès a décroché, en l'espace d'un an, les postes si convoités de premier vice-président de l'Assemblée nationale et de secrétaire général du MPS, au grand dam des nombreux militants de la première heure. Sous d'autres cieux, de telles promotions seraient célébrées comme le triomphe du mérite et de la compétence. Au Tchad, et dans le cas de Mahamat Hissène, elles exemplifient le règne de l'arbitraire et la manipulation du système politique à des fins purement égoïstes.

Alors qu'un congrès ordinaire du MPS venait de se tenir, c'est un congrès extraordinaire du Conseil national du salut (comité central) qui a élu MH. « par acclamation ! » Un scénario qui choquerait jusqu'aux Nord-Coréens ! On est en droit de se demander comment celui-là qui n'avait recueilli que deux voix (dont la sienne !) aux élections primaires du 4e arrondissement de la capitale, a réussi à faire l'unanimité au plan national.

« Nous nous opposons à la candidature de Mahamat Hissène au 5e arrondissement car ce dernier a été déjà battu aux élections primaires du 4e arrondissement, » avaient écrit ses camarades du parti dans un communiqué de presse daté du 8 février 2002. Ce même jour, ils adresseront à la Ligue tchadienne des droits de l'Homme une lettre dans laquelle ils accuseront leur parti « qui prône la démocratie » de « faire fi des aspirations » des militants et leur imposer « des candidats du sommet. » Dans une autre missive adressée au Bureau exécutif national, les militants avaient mis en demeure leurs leaders nationaux en termes clairs : « Voilà, nous vous écrivons une fois de plus pour dénoncer l'imposition de votre candidat baladeur et impopulaire Mahamat Hissène dans notre circonscription électorale du 5e arrondissement. »

Cela n'empêchera pas le nouveau SG du MPS de prétendre au lendemain de son récent « plébiscite » que la démocratie s'est renforcée au sein de son parti. « Auparavant, le SG était désigné par le Congrès. Maintenant, il est désigné par le CNS (Conseil national du salut.) C'est pourquoi, je dis qu'on a réduit le pouvoir à ce niveau pour le redonner plus bas » a-t-il déclaré dans une interview publiée par son journal Le Progrès le 24 novembre 2003. Comme si les 363 membres du CNS étaient plus représentatifs que le Congrès du parti ! Poursuivant sur la même lancée, MH assure que les dirigeants du MPS veulent en faire « un parti de masse. On va sentir le MPS beaucoup plus dans ses cellules plutôt qu'au bureau national, à N'Djaména. » Quelle hypocrisie de la part de quelqu'un qui a été imposé aux militants de la base !

Pour l'ancien patron du Progrès, tout est apparences, tout ce qui est d’origine louche peut toujours être blanchi à coups de beaux discours et subterfuges. MH ignore cependant une dimension élémentaire de la communication humaine : dès l'instant où l'on dit ou écrit quelques mots, on se révèle beaucoup plus qu'on ne le souhaite. Prenons un exemple. Dans son interview au Progrès du 24 novembre 2003, le tout nouveau SG du MPS a déclaré : « Mon sentiment, c'est d'abord celui de la servitude à l'égard du parti. » Or, le dictionnaire  Le petit Robert nous enseigne que le mot servitude signifie « état de dépendance totale d'une personne ou d'une nation soumise à une autre. » Dans le même registre, ce dictionnaire signale des mots comme asservissement, soumission, sujétion !

En voulant nous dire qu'il comptait se mettre au service du parti, MH nous a involontairement révélé son vrai sentiment : celui de n'être qu'un pantin, simple instrument d'une machination visant à préserver le statut quo au Tchad. Ce qui nous amène à nous intéresser aux éléments qui ont amené les tenants du pouvoir à miser sur notre ex-confrère. « L'ancien directeur de publication du quotidien Le Progrès n'a pas de personnalité, donc est manipulable et malléable» écrivait Benjo dans N'Djaména Bi-hebdo du 11 juin 2002 ; « corvéable à satiété, girouette politique, serviteur zélé, » convient Bakary Mana Bello, éditorialiste du site internet Ialtchad. Comme on le voit, la triste réputation de MH est désormais solidement établie.

Pour leur part, ses commanditaires espèrent capitaliser sur sa capacité exceptionnelle à attiser les dissensions entre nordistes et sudistes, entre « christiano-animistes » et musulmans. L'intéressé lui-même situe son ère de gloire à la sombre époque des tendances politico-militaires, l'ère d'un Tchad morcelé. Tous ceux qui suivent sa carrière depuis 1979 savent qu'il n'a pour rêve que de mobiliser l'électorat nordiste autour de la religion et garantir la pérennité du Nord au pouvoir. Aujourd'hui, il se trouve à un doigt de son objectif : en effet, le tout nouveau Secrétaire général du MPS est aussi le Secrétaire général de l'Union des cadres musulmans du Tchad.

De là à proclamer que le MPS « parti naturel des musulmans » il n'y a qu'un pas déjà allègrement franchi en 2001 par l'imam Hissein Hassan Abakar. On se rappelle que ce dernier avait accusé Ibni Oumar Mahamat Saleh, leader du PLD, de s'être allié aux Kirdi contre Idriss Déby, le candidat musulman à la présidence.
Rassurez-vous, il reste encore à MH assez d'intelligence pour s'enfoncer personnellement dans pareil pétrin. Il en laissera le soin à son journal Le Progrès qui, notant le 15 juillet 2002 que l'imam Hissein Hassan Abakar avait « essuyé tous les tirs francs, même de certains musulmans » a conclu, comme à regret : « Le chef de la communauté majoritaire du pays est ainsi réduit au silence quant à son implication politique. »

Abdéramane Barka, l'héritier de MH à la tête du Progrès, et auteur de ces lignes, n'a pas réalisé que ce qui est légal n'est pas nécessairement acceptable aux yeux de la religion. Si, sur le plan strictement légal, l'imam était dans son droit, ce n'était pas le cas sur le plan moral ou religieux. Le candidat des musulmans doit être nécessairement le plus pieux d'entre eux. Or, l'imam ne nous a pas démontré en quoi le président Déby est plus musulman et plus pieux qu'Ibni!

Dans l'esprit des sudistes, MH est le chantre de la division Nord-Sud, Musulmans/Christiano-Animistes. Son nom est associé aux cris de guerre de janvier 1979 : « Hissène Habré est l'oil des musulmans » ou encore « le musulman est le frère du musulman. » A tort, car ces mots avaient été proférés par des fidèles lors d'une prière à la grande mosquée de N'djaména. Mais ils reflètent parfaitement la vision du monde du député Mahamat Hissène. Car, au lieu d'attirer l'attention de ses compatriotes sur cette dangereuse dérive, le journaliste MH s'était contenté de se poser cette question naïve : « la parabole de la vue peut-elle être considéré comme le signe d'un réveil politique ? » (Editorial du bulletin ATP No 4565 du 27 janvier 1979.) En d'autre temps, il n'y a pas plus « visionnaire » que lui ! Ainsi, il n'a pas hésité à réclamer « la formation, même au rabais, » de jeunes médecins nordistes pour soigner leurs parents. à la place des médecins sudistes qu'il accuse d'abandonner progressivement la région septentrionale.

Tout comme MH, nos dirigeants, à commencer par le président Déby, ne crachent pas sur la carte régionaliste ou confessionnelle. Pierre Darcourt cite un exemple édifiant dans son ouvrage Tchad, chemin de la liberté consacrée à notre général-président. L'auteur relate les propos d'un certain colonel Monti à propos des premières recrus du centre d'instruction de Koundoul en 1982. Selon ce colonel, tous les candidats les mieux notés étaient sudistes. Mais deux jours plus tard, il n'y avait que des nordistes. « Les candidats sudistes avaient disparu. J'en ai parlé à Déby. Vous savez ce qu'il m'a répondu ? « Inch'Allah, mon colonel. Je n'ai pas besoin de lettrés obéissants, mais de combattants dégourdis » rapporte le colonel Monti dans le livre de Darcourt.

On se rappellera toujours l'étrange silence du gouvernement tchadien lorsque Le Temps avait publié une fiche du colonel Soumaine Daoud datée du 26 septembre 1996 et adressée au président Déby. Celle-ci proposait purement et simplement le recrutement exclusif de jeunes « nordistes musulmans » au sein de la gendarmerie. Le colonel avait, lui aussi, fait état du « manque d'efficacité » des recrus sudistes. Lorsqu'on regarde la classe dirigeante aujourd'hui, on note clairement cette volonté de marginalisation des sudistes et, de plus en plus, de certains nordistes.

Pour revenir à l'ancien directeur du Progrès, c'est une personne qui ne recule devant rien pour parvenir à ses fins. Dans un éditorial de décembre 1994 intitulé « De la carrière des mots en politique, » MH reproche aux évêques tchadiens de s'inquiéter de l'apparition dans des pays voisins « d'un islam conquérant pour lequel le concept de laïcité est inadmissible. (.) Que trois de ces évêques soit des Français ne facilite pas davantage le dialogue ! Au contraire» souligne-t-il. Voilà un individu qui a fait toutes ses études en français, et qui se prétend subitement incapable de dialoguer avec des Français ! Le premier vice-président de notre Assemblée nationale devrait logiquement utiliser un interprète lorsqu'il s'entretient, de nos jours, avec des responsables ou des diplomates français !

Pour MH, rien n'est permanent, rien n'est sacré. Les relations, les accords et les engagements se font et se défont au gré des intérêts personnels. Ainsi, parlant de la décision de Lol Mahamat Choua de rompre son alliance avec le MPS, MH nous dit : « Quand on fait une alliance avec quelqu'un, on s'attend toujours à ce que cela marche ou que cela s'arrête. C'est un mariage. Le mariage est par essence rejetable.» On devine le sort des femmes sous le code musulman de la famille que MH et ses compères proposent et qui est défendu par certaines musulmanes !

Contrairement aux autres militants MPS qui sont précipités sur des postes ministériels pour en être éjectés quelques mois plus tard, MH a choisi de se rendre utile sans rien demander en retour. Cette stratégie a payé. Il s'est rendu tellement indispensable que tout a été mis en œuvre pour le hisser à la vice-présidence de l'Assemblée et aujourd'hui au secrétariat général du MPS. « Je dis qu'en politique, chacun a ses calculs » a-t-il affirmé au Progrès le 24 novembre.

Directeur de la communication du président Déby, MH quittera ce poste pour lancer  Le Progrès  en 1993 en vue de faire contrepoids à  N'djaména Hebdo, considéré comme journal d'opposition. « C'est un journal que nous le MPS avons créé. Moi-même j'étais chargé de financer ce projet sur instruction directe de Déby quand j'étais directeur de cabinet en 1992. Puis en 1993 quand j'étais ministre, » explique l'ex-conseiller présidentiel Hassan Fadoul Kitir en avril 2001 dans une interview accordée au site Alwhida. Jusqu'à son élection à l'Assemblée, M. Hissène ne perdra jamais de vue sa mission de désinformation. Et si vous avez remarquez, depuis son départ du Progrès, tous les billets qu'il signait sont maintenant publiés sans auteur. Je le soupçonne d'utiliser cette astuce pour continuer d'écrire dans le journal et décrocher des flèches sans être vu !

Dans les milieux de la presse tchadienne,  Le Progrès  a toujours fait cavalier seul, ne s'associant aux initiatives communes qu'à contrecœur. MH y a introduit la notion de « journal d'information » qui « rapporte des nouvelles variées, sans volonté de culpabiliser ou de disculper un groupe. » Un concept qu'il oppose à celui de « journal d'opinion, » qui « sélectionne des informations pour conforter son idéologie ou pour dénigrer ses adversaires. » MH se croyait vraiment à l'abri. « Le Bon Dieu m'a doté d'une adresse qui m'a permis d'éviter des pièges, même si certains passages ont été très étroits, » se vantait il encore en 1999 (article Ni vérité expurgée.) La même année, il écrivait dans l'article Temps ou Progrès, chacun assume ses risques : « Vous n'allez pas nous demander de faire comme vous pour vous servir de couverture ! »

Aussi, j'ai été très surpris de lire dans le site internet Tchadforum que Mahamat Hissène, directeur de publication du Progrès, a été interpellé pour quelques heures par la police le 25 septembre 2001. « On lui reproche la publication d'un article intitulé « qui veut la tête de Déby ? » dit le site qui cite aussi la cinglante mise au point des autorités à propos de cette affaire :« Aucune menace ne pèse sur la tête le président de la République Idriss Deby. »
Ainsi, notre grand journaliste n'a pas pu résister à l'attrait du journalisme d'opinion, et s'est fait prendre comme un bleu !

Dès son arrivée à l'Assemblée nationale, et malgré cette désagréable expérience, notre nostalgique du parti unique a proposera un projet de loi modifiant le fonctionnement du Haut conseil de la communication. Son objectif ? Placer le HCC sous la coupe du pouvoir exécutif ; ce qui a amené Gata Nder à relever l'inquiétude « suscitée par l'initiateur de cette loi dont la démarche ne peut que paraître suspecte aux yeux d'un certain nombre de journalistes. » (Ndjaména Bi-Hebdo No 638 du 23 au 27 /12/02)

Toutefois, ceux-là qui croient avoir politiquement asservi MH pour leur usage personnel feraient mieux de se tenir sur leurs gardes. Car lui aussi fait sûrement ses calculs. Pour le SG du MPS comme pour ses commanditaires, de gros nuages s'amassent à l'horizon. Ainsi, notre ambassadeur à Washington, Ahmat Hassaballah Soubiane, membre fondateur du MPS, vient de jeter un pavé dans la mare. Dans une lettre à ses camarades du parti, il appelle le MPS à « rompre avec le folklore, l'irrationnel et l'égoïsme, et avoir le courage, oui le courage de voir les choses en face, d'analyser avec lucidité la situation actuelle, et le risque qu'elle comporte. »

Amine Togou, correspondant du site Internet Ialtchad.com, observait de son côté le 28 novembre dernier: « que restera-t-il d'un Mahamat Hissène, sinon qu'une silhouette et une honte aux yeux de ceux qui ont toujours pris du recul par rapport à la politique actuelle du régime et cru à la grandeur des hommes.
L'histoire donnera raison à Timothée Donangmaye. » Ce dont MH ne se remettrait probablement jamais. Mais à qui la faute s'il a choisi de lier son sort à un système politique désuet ? Chez nous en pays Ngaoumbaye, nous disons : «La mante religieuse vit d'herbe et meurt en même temps qu'elle ! »

Timothée Donangmaye

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