jeudi 28 mars 2024

Moussa Faki ou l'entorse à la géopolitique

Written by  Jui 27, 2003

Le totalitarisme est de retour. Et quel retour pour ce système politique dont l’éradication semblait pourtant acquise depuis la fuite du tyran Habré. Habitué au simulacre de multipartisme et aux différentes formes de consensus démocratique fantasmagorique telle que la « démocratie consensuelle et participative » et autre « front républicain », on avait fini par céder aux illusions de ce qu’il est convenu d’appeler « la géopolitique » dans son acception triviale. Au demeurant, tout le monde (hommes politiques et populations) semblait être satisfait de la nouvelle donne : un chef d’Etat ‘‘naturellement’’ nordiste secondé par un chef de gouvernement ‘‘absolument’’ sudiste. Sauf que ce deal fait du chef de l’Etat une autorité absolument inamovible et du premier des ministres un personnage naturellement révocable. En clair, cette équation donnait Un seul Chef nordiste et de multitudes de chefaillons sudistes.

Et pourtant, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, toute la classe politique du pays voyait en cette foire de la magouille, l’expression d’une « réalité tchadienne » comme si le Tchad avait une certaine particularité politique si extraordinaire qu’il était nécessaire de ne pas bousculer les traditions. Le choix de l’inanité ayant fait l’unanimité, certains hommes politiques ont même cru devoir troquer leur fonds électoral contre un bail primo ministériel dont le caractère éphémère est si évident qu’en douze ans de pouvoir Deby, huit premiers ministres ‘‘sudistes’’ se sont vu congédier sans avoir eu le temps de mettre en œuvre les actions politiques envisagées. Juste le temps de familiariser avec les agents de service et avant même d’avoir eu l’occasion de jeter un coup d’œil sur les projets laissés en suspens par le prédécesseur du successeur… du successeur… du successeur ….de Jean Alingué, que sonne la cloche du départ. La longévité à la primature reste une surprise. Et la nomination d’un premier ministre nordiste apparaît, dans le paysage politique tchadien, non pas comme une surprise, mais comme une grossièreté surprenante. Et pour cause !

Dans la trivialité de la géopolitique et sans que cela ne soit inscrit quelque part, on avait fait de l’appartenance à la région méridionale, le critère principal à l’accession au poste du premier ministre dans notre pays. Conséquences, aucun sudiste ne doit aspirer à diriger un jour le Tchad. Inversement, tout homme politique nordiste se doit, au risque de s’exposer à la vindicte debyenne, de se ranger derrière le « père de la démocratie », héritier du Frolinat. Du caractère insensé de cette géopolitique, il résulte donc que, pour tout citoyen qui aspire à faire de la politique, la voie est toute tracée : ou bien on est sudiste et donc potentiellement chef de gouvernement, ou bien on est nordiste et obligatoirement ouaille de Deby. L’affirmation par la compétence étant, par hypothèse, exclue pour les septentrionaux (le cas Ibn Oumar président du PLD en est une illustration).

Reste que, si cette cabale renforce les liens entre les pourfendeurs de la démocratie et leur permet de mieux protéger leurs intérêts immédiats, elle n’a pas non plus manqué de créer un précédent que la félonie de Deby vient pourtant de démentir avec la nomination de Moussa Faki comme premier ministre. Contrairement aux affirmations de Moustapha Malloumi[1][1] qui voit dans la nomination de l’ex-directeur de Cabinet civil de Deby, un précédent politique, je ne crois pas que cette farce fera jurisprudence. La symbolique de cette nomination inattendue aura bien évidemment un certain impact sur l’opinion nationale et dans une moindre mesure sur celle de quelques observateurs de la tradition politique tchadienne, mais les habitudes ne seront nullement ébranlées. Mieux, cette nomination est peut-être un prologue à un retour au totalitarisme, lequel n’a pas totalement disparu avec le régime Habré, loin s’en faut. Les réflexes de la dictature ont la vie dure et les vassaux ne manquent pas sous le ciel tchadien.

Depuis quelques années déjà, de l’Assemblée nationale au Palais Rose en passant par la plus Haute juridiction de notre pays, le spectre de la dictature plane sur nos institutions. Les décisions les plus importantes sont prises non pas en toute liberté par les institutions mais sous l’instigation et la pression du chef de l’Etat. Les ouailles préfèrent fermer les yeux ou diviniser Deby comme à leur habitude tandis que l’opposition n’a plus voix au chapitre depuis sa défection lors des élections législatives. Dopé par les visites successives du Président Chirac et de la ministre français de la Défense, le président Deby retrouve peu à peu ce que depuis quelque temps, la « folie » démocratique semblait vouloir lui ôter : l’amour de la dictature. Le chef de l’Etat semble n’avoir plus peur de rien, l’une des plus grandes démocraties du monde lui accorde sa confiance et lui réaffirme son soutien quant à sa politique ; les institutions de Bretton-Woods l’encouragent également dans sa politique de chasse aux sorcières. Les opposants politiques sont sommés de rentrer au bercail, les pays amis leur accordant hospitalité sont menacés de représailles…c’est à peine si le chef de l’Etat ne se serait pas subitement découvert des pouvoirs semblables à ceux qu’exerce actuellement sous l’œil sidéré du monde, le Président américain.

Moussa Faki saura-t-il s’affranchir du joug présidentiel et s’affirmer en tant que chef de gouvernement, c’est-à-dire initier et prendre des décisions tout en impulsant la politique qu’il aura choisie de mettre en œuvre ? Lui qui « doit tout » à son parrain pourra-t-il savoir lui suggérer une meilleure idée que la sienne comme cela devait l’être de tout chef de gouvernement digne de cette estampille ? Aura-t-il les coudées franches ? Si des fortes personnalités comme Nagoum, Kassiré et Moungar ont dû courber l’échine, le nouveau premier ministre ne sera peut-être que l’agneau du service. La réorganisation de l’armée, la restauration de l’autorité judiciaire, le nettoyage de la douane, la sécurité intérieure, la santé, l’éducation et surtout la gestion prochaine des revenus pétroliers sont des questions sur lesquelles aucune impasse n’est permise. Les huit premiers ministres sudistes n’ont su ou n’ont pu y apporter la moindre solution parce qu’apparemment ces questions sont « intouchables ». Moussa Faki sera-t-il l’homme providentiel ou la solution démentielle, autrement dit, un premier ministre facilement manipulable et corvéable à merci ?  Nous lui souhaitons ample lucidité.

Lyadish AHMED

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