Une fois de plus des tchadiens meurent sous les feux d’autres tchadiens et cela n’est pas prêt de s’arrêter. Et pourquoi ? Arrêtons l’hypocrisie ! C’est le dessein fantasmatique de conquérir le pouvoir et de jouir des avantages qu’il procure qui exhorte certains à tenter l’aventure jusqu’à tuer ou en mourir si besoin est. Nul ne peut très honnêtement, à moins d’être autiste, croire que les innombrables groupuscules politico-militaires qui écument l’est du pays soient exclusivement mus par un idéal démocratique et « libertaire » dont ils seraient les promoteurs et les défenseurs invétérés. Qu’ils aient tous un point d’ancrage commun, le rejet de Deby, soit ! Mais par-delà cette considération factuelle, deux évidences : la première, c’est qu’un masque ne sert que pour le besoin d’une pièce. Autrement dit, tous, on a bien conscience de l’instrumentalisation de la démocratie et du fait indéniable qu’une fois ce dessein inavoué et inavouable atteint, le masque tombera de lui-même.
La seconde évidence est que la contestation d’un pouvoir, d’un homme n’est pas en elle-même constitutive d’une alternative. Encore faut-il être apte à offrir une perspective qui ne se résume pas à une hypothétique promesse des lendemains qui chantent en lieu et place d’un présent qui serait oppressif.
Or qu’y a-t-il en commun entre ces individualités et entre ces mouvances politico-militaires subversives ? Mis à part les ambitions personnelles et l’opportunisme éhonté de certains, rien justement ! Car tous les oppose autant les uns que les autres. Comment en effet, ne serait qu’esquisser une conciliation entre mille et une incompatibilités rédhibitoires ? Imagine-t-on un seul instant que l’intérêt du peuple tchadien réside dans une mosaïque écartelée entre des bases claniques divergentes, entre des ambitions égoïstes concurrentes, entre des générations de pseudo-opposants différentes ? Et ce n’est pas fini. Par quel miracle, les opposants « historiques » (ceux qui ont inscrit à cette logique très tôt) parviendront-ils à définir un avenir pour le Tchad en collaboration avec des opposants nouvellement et curieusement convertis à la dénonciation expiatoire alors que pour certains d’entre ces derniers, ils ont non seulement cautionné un régime devenu subitement infréquentable à leurs yeux, mais n’ont pas bougé le moindre doigt sous le régime Habré qui était franchement tout, sauf démocratique. Quiconque regarde la réalité avec objectivité, c'est-à-dire sans œillères mais avec lucidité, ne souhaiterait troquer le régime en place (quelque soient ses insuffisances) avec l’incertitude et les infirmités disqualifiantes des maladroits vendeurs de chimères.
Bien que l’on ne puisse se satisfaire de l’état actuel du pays, il ne faut pas non plus occulter le chemin parcouru depuis 1990. Autant il serait prétentieux de hisser le Tchad d’aujourd’hui parmi les nations les plus démocratiques du monde, autant il serait exagéré de qualifier le régime tchadien de dictatorial. Seuls ceux qui ignorent la progressivité de l’ancrage des principes et du réflexe démocratiques s’étonneront du fait que notre démocratie ne concurrence pour l’instant, ni dans son contenu, ni dans ses contours la démocratie française entre autres. À ceux-là, il faut rappeler que la France qui est leur référence, s’est retrouvée sous le joug d’un empereur quinze ans après la proclamation des principes de la révolution de 1789. Le parallèle est certes relativisé par la temporalité des contextes, mais au moins, on ne peut reprocher à Deby d’avoir installé un régime impérial !
La question principielle et préjudicielle qu’on devrait se poser c’est de se demander si, ceux qui se disputent la place du roi aujourd’hui, auraient fait mieux que l’actuel chef de l’état. À chacun sa conviction.
L’honnêteté intellectuelle doit néanmoins nous incliner à accréditer les insuffisances protéiformes dont pâtit notre pays et les réformes multidimensionnelles qu’il faudra incessamment entreprendre. Seulement, là également, il serait simpliste de restreindre la responsabilité de toutes les difficultés nationales à une seule personne sans prendre en compte d’autres facteurs déterminants, telle la hantise de la prise du pouvoir (par tous les moyens) elle-même génératrice d’une réaction, source principale et légitimante des dérives. De ce fait, le recours à la force comme mode de conquête du pouvoir est plus que jamais anachronique dans son principe et toujours dommageable dans son procédé. L’apport de l’opposition démocratique – symbolisé par l’activisme courageux et bénéfique d’un certain Yorongar- dans l’évolution de la société tchadienne est sans commune mesure avec l’action oh combien régressive des nombreuses aventures militaires dont on a fait l’expérience. C’est une preuve de plus que le progrès ne viendra pas envelopper dans la haine, le sang et les rêves.
Par ABDOULAYE-SABRE FADOUL, ABDEL-GADIR FADOUL KOUYOU, MAHAMAT SENOUSSI ABDOULAYE