La vraie fausse querelle sur le taux de participation du 03 mai 2006

Written by  Mai 09, 2006

Au Tchad, les termes couramment utilisés dans la vie publique semblent, comme en patois, signifier plusieurs choses divergentes à la fois. C’est un peu le cas du « taux de participation » au centre de l’inévitable polémique post-électorale. Pour parler simplement, un taux se définit par rapport à une proportion mesurable et vérifiable. On ne peut pas parler de taux dans le vague. En matière électorale, le taux de participation se réfère toujours au fichier électoral en vigueur et non pas à l’affluence du public devant les bureaux de vote. C’est là toute la confusion du débat actuel entre les partisans et les adversaires des élections du 03 mai dernier. Même les leaders de la société civile opposée au pouvoir (puisqu’il va falloir désormais reconnaître celle qui roule à fond pour défendre ce pouvoir), font cette confusion.

     On parle de taux de participation quand, par exemple, l’on cherche à savoir combien de personnes ont voté sur cent inscrits. Mais s’il se trouve que la majorité d’une population en age de voter ne figure pas sur le fichier électoral, elle ne peut plus être évaluée par rapport au taux de participation. Elle n’est pas concernée par le vote, c’est tout ! Le cas de notre pays est bien celui-là : sur les 5 millions d’électeurs « inscrits », la plupart n’existent pas physiquement pour aller voter. Il y a un fossé considérable entre les données démographiques et les données électorales des régions. Donc un gonflement anormal d’électeurs inexistants. Ce qui revient à ceci : faute d’être physiquement en mesure de se présenter devant les bureaux de vote, la masse des électeurs se réduit aux personnes voire des mineurs qui ont des dizaines de cartes en poche et sont autorisés à voter ainsi. Le surplus de voix sera redistribué dans les bureaux de la CENI monopartite. De ce fait, les organisateurs du scrutin du 03 mai n’avaient pas besoin d’affluence massive pour atteindre leurs objectifs ! Le système de la fraude se renforce d’autant que le boycott systématique le veut ainsi. Tout se tient finalement !

     Alors que les sympathisants de l’opposition étaient de fait démobilisés dès le départ du recensement électoral, ce sont les déçus du régime disposant de cartes d’électeurs effectifs qui, à la rigueur, pourraient s’être abstenus et justifier une affluence encore plus faible que prévu. Si l’opposition CPDC avait fait preuve de zèle et d’insistance durant la campagne électorale, comme le comité de l’appel à la paix et à la réconciliation, les choses auraient peut-être bougé ? Cependant, il ne faudrait pas se faire d’illusions sur la liberté réelle que les citoyens du monde rural auraient de s’abstenir d’aller voter. Nous savons tous que la démocratie est restée interdite d’accès aux habitants de nombre de régions tourmentées et sous coupe réglées depuis toujours. L’opposition partage largement la responsabilité de l’abandon de ces contrées à elles-mêmes, pour n’avoir jamais eu les soucis de l’éducation civique et idéologique de leurs militants ruraux. L’opposition a préféré évoluer dans les clivages ethniques et les solidarités coutumières habituelles. Chacun, pouvoir et opposition, contribue à sa manière à la démotivation des masses pour les enjeux publics.

    
Le 03 mai dernier, ce sont ces réalités qui se sont conjuguées. Il est difficile de mesurer l’ampleur du mot d’ordre de boycott quand les citoyens ne pouvaient pas voter physiquement. C’est le cafouillage à la tchadienne qui continue à tout fausser dans l’évolution de notre pays. Comme les 3 millions de Tchadiens vivant au Soudan, dont le nombre fictif terrorisait les délégués à la CNS en 1993, mais qui cessèrent d’exister quand il fallut voter en 1996 ! Souvenons-nous aussi, il y a quelques années, des chameaux avaient été emportés par la pluie en plein désert dans l’extrême nord du Tchad ! Incroyable, et pourtant le pays a ainsi toujours évolué sur la base du mensonge !

     Ce qu’il faut retenir en définitive, c’est que notre pays vient de confirmer son indéfectible attachement à la règle des coups de force. Il y en a eu pas mal : six tentatives de putsch manqués contre la personne de IDI, la modification de la constitution et de la loi 001, la prorogation de 18 mois du mandat des députés actuels, l’attaque du 13 avril à N’djaména, le scrutin du 03 mai dernier, le fameux « il y aura quelque chose » promis par le FUC sur RFI pour ce scrutin, provoquant la 2e panique de N’djaménois (surtout proches du pouvoir) pour Koussiri au Cameroun ... L’essentiel pour chaque acteur étant d’atteindre son but sans se soucier de l’éthique des voies et moyens empruntés. Les gagnants actuels sont : le général IDI d’une part et les politico-militaires de l’autre. Pourquoi ? Parce qu’ils sont restés conforme à la règle de la force qui régit notre vie publique depuis 1977 ! Les prochains évènements seront essentiellement déterminés en fonction de leur logique guerrière irréductible et des intérêts stratégiques qui les parrainent. Les perdants provisoires sont : l’opposition civile moribonde des communiqués de presse et la société civile peu indépendante. Leur tort, c’est de n’avoir pas su jusqu’ici soulever la troisième force, la population. La seule mobilisation spontanée de la population tchadienne en 16 années de « démocratie » remonte au 18 février 1992 suite à l’assassinat de notre compagnon Me Joseph BEHIDI. Autrement dit, la solution profonde et définitive au drame tchadien passe par le peuple aux mains nues, qui malheureusement dort et a peur de son ombre. Jusqu’à quand ?

Il faut s’attendre, après le coup de force du 3 mai, à un assouplissement de la position du pouvoir, par l’ouverture du gouvernement et même de la primature à l’opposition CPDC et consort, dans le cadre d’une nouvelle DCP. Cette formule serait considérée par le pouvoir de IDI comme préférable à celle, dangereuse, de la tenue d’un forum qui ne manquerait pas de remettre en cause les efforts de « légitimation » par la force du pouvoir actuel. Car il n’y aura plus d’élections, selon les actes déjà entérinés (prorogation du mandat des députés jusqu’à 2008), donc la base des revendications de la CPDC pour une alternance basée sur un scrutin bien préparé (juridiquement et matériellement) est devenue désuète, sans un rapport de force favorable à l’opposition. L’impondérable principal à ces prévisions moroses, c’est la force majeure liée au processus d’autodestruction irrésistible actuel du pouvoir de IDI même, par les défections et les agitations des siens ! La dernière en date est celle de M. Mahamat Nouri, ancien du FROLINAT et influent leader du Borkou, région d’origine de M. Hissène Habré, une affaire de famille de plus dans l’Etat déliquescent !

L’opposition politique et la société civile devraient éviter de faire de ces dissidences internes au régime de IDI un fonds de commerce dans la revendication d’une table ronde. Ces dissidences sont une phase ultime de la saturation et de l’éclatement d’un système de gouvernance et de valeurs basé sur le népotisme, la discrimination, la violence, l’arbitraire et l’atteinte permanente à la vie et à la propriété. Ceux qui ont promu ce système et s’en sont servis allègrement, ne peuvent pas faire du slogan anti-IDI un certificat de nouvelle virginité. Les dossiers noirs de l’Etat existent et devraient clairement faire l’objet d’un audit général public, avec le relais des tribunaux. Qu’il s’agisse des crimes politiques, économiques et contre l’humanité, aucune tentative d’obtenir une amnistie générale par la force des armes, au gré de « rébellions tardives » contre IDI, ne devrait tromper la vigilance de vrais patriotes et du peuple victime. Pourquoi, en quinze ans de « démocratie », aucun groupe politico-militaire n’a pu se transformer en parti politique, conformément aux accords de « réconciliation » signés avec le gouvernement aux frais du contribuable, avec des « amnisties » octroyées en sus ? Si le CAPRN et la CPDC voudraient organiser une table ronde en voulant sacrifier la soif de justice des Tchadiens sur l’autel de la « réconciliation » entre les prétendants au pouvoir et à ses privilèges, le peuple et la jeunesse consciente les vomiront autant que les autres fossoyeurs de la République. « Qui vivra par l’épée périra par l’épée ! », est-il écrit, et on n’échappera pas à cette proclamation divine au Tchad. La confusion et la cacophonie devraient cesser dans l’exploitation de la situation fragile de notre pays.

Enoch DJONDANG

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