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Les chemins du maquis : un business macabre et juteux pour les Tchadiens !

Written by  Juil 23, 2006

Vous êtes mécontents de votre situation ? Vous voulez rapidement accéder aux sommités de l’Etat et aux privilèges reluisants ? Vous avez des comptes à régler avec X ou Y tribu ? Rien de plus facile… Il vous suffira devenir un « rebelle » ou plus pudiquement « un politico-militaire ». Cela n’est pas très difficile, mais il faudra respecter les procédures jusqu’au bout pour gagner le gros lot.

Comment ça se passe en gros ? Vous prétextez d’une des nombreuses injustices criardes qui font le quotidien du Tchadien et vous passez de l’autre côté de la frontière. Attention, pas la mauvaise frontière surtout ! Car vous devez viser un pays rompu dans l’art de déstabiliser ses voisins et qui nourrit des ambitions hégémoniques sur le vôtre. Bien arrivé, vous vous mettez en contact avec les responsables des services secrets de ce pays pour être pris en charge et obtenir un parrainage sûr. Si vous êtes intéressant comme mercenaire, vous aurez droit à des avantages que même les citoyens dudit pays n’ont pas : passeport diplomatique, prise en charge de vos déplacements, séjour gratuit dans un bon hôtel ou dans une villa huppée surveillée, etc.

Vous proposez vos services pour la destruction de votre pays – pardon – du pouvoir en place à N’Djamena qui a nécessairement des problèmes avec votre pays d’accueil. Vous devenez une carte de réserve au cas où une occasion se présenterait d’en découdre avec le patron des bords du Chari. Comme la géographie fait bien les choses, vous allez vers vos parents (ceux de la même ethnie que vous) exilés ou réfugiés dans le pays parrain. Avec l’argent et les moyens mis à votre disposition, il vous suffira de les convaincre massivement de la revanche à prendre sur le clan ou la tribu au pouvoir, pour en recruter des centaines, surtout des jeunes désœuvrés facilement manipulables. Des camps d’entraînement militaire seront mis à votre disposition. Après vos premiers coups de main contre la troupe gouvernementale de votre pays, vous passerez du statut de « coupeurs de routes » à celui plus honorable de « rébellion armée ». Le plus dur vient alors, car vous devriez subir les assauts violents de ceux qui ne sont pas prêts de s’effacer pour vous laisser le gâteau du pouvoir. Des répressions sauvages seront lancées contre votre ethnie ou région d’origine et vos proches à N’Djamena pour briser votre moral et vous ramener à de meilleurs sentiments.

Si vous résistez à tout ceci, il faudra alors obtenir le feu vert du chef de terre qu’est la France, car sans elle vous ne pourrez pas espérer habiter quelques années dans les salons dorés du palais rose. Le chef de terre, grande marraine protectrice de ce territoire militaire d’outre-mer qui est tout sauf un Etat, vous fera signer un pacte comme on le fait d’habitude avec le démon, c’est-à-dire à interpréter dans le sens inverse ou figuré. Et hop ! la route de N’djaména vous est ouverte ! L’aventurier soudanais Rabah, père spirituel de la chefferie de guerre tchadienne, avait parcouru ce chemin à dos de cheval, cela avait pris du temps. Maintenant, c’est plus rapide en Toyota. Toyota ai-je dit ? C’est la marque préférée des amateurs de la violence politique au Tchad et en Somalie, la sœur jumelle perdue de notre pays. Vous n’aviez pas besoin d’avoir de l’argent pour vous en acheter, c’est gratuit ! Des dizaines au besoin, si vous êtes prêt à aller jusqu’au bout de la ruine de votre pays ! Les armes aussi, de tout calibre !

Vous ne devez pas vous faire des soucis pour vos concitoyens qui vont mourir massivement à cause de votre existence et de vos menaces : après tout vous venez pour les libérer ? La faute sera toujours imputée au pouvoir en place qui se débattra comme un beau diable pour repousser l’échéance de son départ par la force. Vos morts seront décrétés « martyrs » et leurs proches auront le droit de se servir de tout ce qui est lucratif pour se faire rembourser le prix du sang versé pour la « libération » de ces esclaves de Tchadiens peureux. Les parents de l’autre côté, qui vous ont aidé, auront aussi le droit de se servir, même en tuant à volonté vos compatriotes. Les meilleurs morceaux que sont la douane, les brigades, les caisses, l’administration territoriale, le fameux « grade » de « colonel », et les villas squattées, sont ainsi réservés à la race des maîtres guerriers. Et comme on ne sait jamais comment ça finit le pouvoir, il faut envisager la terre d’asile la plus naturelle, celle des parents de l’autre côté. Si vous aviez déjà participé au pouvoir, vous devez exprimer vos regrets aux compatriotes et promettre que vous ferez mieux la prochaine fois, à votre retour des grottes ; on oubliera aussitôt votre passé obscure !

En comparant simplement tout ce que coûte, en terme de prise en charge, un « rebelle » et sa suite (entretien individuel, armement, etc.), depuis les premiers seigneurs de guerre Goukouni, Habré, Acheikh et consorts jusqu’à la nouvelle vague actuelle, on aurait pu avec l’équivalent monétaire en moyens, reconstruire et moderniser les zones « libérées » un moment par ces rebelles. Des centaines de puits, d’écoles arabes ou autres, de dispensaires, former des cadres valables pour le développement « révolutionnaire », etc. Il n’y aurait pas tant d’exilés, de déplacés, de revanchards, de conflits intercommunautaires. Malheureusement, non seulement une partie de l’élite politique évolue dans le mercenariat au profit de puissances de tutelle, sans capacité de faire valoir une identité nationale et patriotique commune, mais elle continue de croire en ce schéma barbare et moyenâgeux de conquête du pouvoir et de promotion sociale facile.

Cependant, est-ce sûr que les autres Tchadiens accepteront toujours cette combine ? Rien de plus simple encore ! Les partis politiques, fatigués et découragés tant par l’intransigeance du camp du pouvoir en place, que par leurs propres turpitudes, sont prêts à s’allier aux rebelles pour obtenir le laissez-passer manquant. La société civile, dont la dénonciation des exactions massives des faits de guerre finit par harasser, cède aussi sur les principes pour vous dérouler le tapis rouge, en vous considérant comme des acteurs incontournables de l’imbroglio tchadien et de son dénouement. Donc, sans véritable légitimité idéologique ni programme convaincant, l’essentiel pour vous, dans ce métier singulier, est de tenir le terrain et de faire vivre la psychose de votre prochaine arrivée aux N’Djaménois, et vous devenez présentables et fréquentables. La seule erreur à ne pas commettre est celle d’ignorer la bénédiction du chef de terre : la France. Certains en ont fait l’expérience amère le 13 avril dernier dans les rues de N’Djamena, après avoir parcouru sans faute les raccourcis du chemin de l’ancêtre des rebelles Rabah.

Il arrive aussi malheureusement que votre loterie échoue, à cause des intérêts en jeu. Alors vous serez contraints de vous « rallier » et de vous contenter de la pitance qui vous sera accordée. C’est mieux que rien, car dans un vrai pays moderne, vous ne pourrez même pas prétendre aux fonctions et aux privilèges qui vous seront gratifiées, en échangez de vous tenir tranquille quelque temps. Si vous voulez un peu plus, alors dès votre ralliement, vous devrez prêter main forte pour aller écraser les autres, ceux qui se cachent encore dans les montagnes infestées d’hyènes et de lions de la frontière. Vous aurez plus de chance si vous relevez du 13e parallèle et au-dessus, parce que vous êtes alors des parents et que la solidarité coutumière est sacrée, quelles que soient les inimitiés internes, les vrais ennemis ce sont les autres Tchadiens qui n’ont pas la même culture que vous. Par contre, si vous êtes un « harratine », c’est-à-dire ceux qui sont nés pour courber l’échine, ce schéma ne vous réussira pas. D’abord, vous n’êtes pas né du bon côté des frontières, vos parents de l’autre côté ne vous aideront pas dans ces aventures qu’ils rejettent. Les gouvernements voisins aussi n’en voudront pas. Dans ce cas, vous devez accepter que tant que ce jeu de ping-pong entre les héritiers de l’aventurier soudanais Rabah et les petits enfants du Commandant Lamy de l’armée française, va continuer, vous ne serez qu’un citoyen – pardon – un sujet de seconde zone bon à être exploité et maltraité. Voilà comment au 21e siècle, on s’est arrangé à créer un espace de non droit, une anomalie terrifiante au cœur de l’Afrique appelé Tchad.

Maintenant, par comparaison simple des indicateurs et du niveau de pauvreté criarde du Tchad, il faut aligner sur l’autre colonne du tableau tout ce que le pays perd en détail du fait de ce mode anachronique de promotion sociopolitique qu’est la rébellion armée. Y compris les vies humaines, les jeunesses rurales et urbaines sacrifiées, les haines nouvelles, la mortalité tous azimuts, etc. Quand cela dure depuis plus de trente ans, il y a lieu de se demander si les Tchadiens sont vraiment des gens normaux qui vivent leur temps au même titre que les autres peuples africains ? Malheureusement, quand on n’aime pas son pays, quand on tue à volonté le fruit de la femme qu’est l’être humain, il n’y qu’un seul mot pour conclure : à quand la fin de la barbarie ?

Enoch DJONDANG

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