Les Barouds d'honneur d'une génération politique qui a échoué ?

Written by  Aoû 18, 2007

En suivant docilement les reportages de la TéléTchad sur la cérémonie de signature de l’Accord politique entre l’opposition civile et la mouvance présidentielle au Palais Rose, surtout le discours du président Alingué Jean Bawoyeu de la CPDC et les itw d’autres barons, je n’ai pu m’empêcher de replonger dans l’Histoire passée de notre pays. Ce n’est pas une réaction volontaire mais un réflexe exprimant les séquelles de traumatismes cumulés du fait d’être une victime de cette Histoire tchadienne. Je me suis retrouvé plongé dans les images des années 85.

En effet, il y une vingtaine d’années (qui passent pour deux ans à peine de surplace !), le président Hissène Habré venait de gagner la bataille diplomatique reconnaissant sa lutte pour la défense du principe sacré de la défense de l’Intégrité Territoriale du Tchad. Les conséquences étaient alors évidentes : les différents groupes politiques en exil (Brazzaville, France, Bénin, etc.) opposés à Hissène Habré, n’avaient d’autres choix que de « regagner le bercail » et de participer à l’exercice du pouvoir de l’époque, sans condition. Le président Alingué (suivi du général Kamougué et d’autres barons) était l’un des leaders de ce mouvement de « réconciliation nationale » qui ramena la plus grande partie des barons des régimes précédents et de nouveaux loups au pays. Ce revirement historique important contraint les derniers groupes politico-militaires actifs de la zone sous occupation étrangère, de rallier à leur tour les FANT (Forces Armées Nationales Tchadiennes). Le général Oki Dagache convoya la colonne FAP (Forces Armées Populaires) du défunt GUNT (Gouvernement d’Union Nationale de Transition), sur les instructions du président Goukouni Oueddey. Avec ce sursaut patriotique, les tchadiens marqueront d’une pierre blanche leur seule vraie victoire nationale collective, pour la défense de l’Intégrité Territoriale, au cours de l’année 1987.

Le président Alingué put alors sillonner le pays pour proposer au référendum la Constitution de 1989, ayant donné lieu à des élections législatives correctes mais dont les élus n’auront eu droit qu’à moins de trois mois d’existence. Le 1er décembre 1990 rappela tout le monde à d’autres réalités bafouées de l’Histoire. Ce jour-là, le monde découvrit avec horreur la face cachée du pays, à travers les rescapés de la sinistre DDS. Le Dr Gali N’Gothé, le syndicaliste Younous Mahadjir et d’autres survivants pourraient mieux en parler. Or, la commission d’enquête du juriste Mahamat Hassane Abakar pu établir, dans ses archives non publiées, l’identité, la date d’arrestation, la date probable de disparition et la cause de mort de près d’un millier de tchadiens par la DDS au cours de cette seule année 1986 où la plupart des barons de l’opposition au régime de Hissène Habré avaient regagné « le bercail ». N’eusse été le surcroît de travail demandé par une telle démarche journalistique, les extraits des discours du président Alingué ou du général Kamougué à l’époque diffèrent peu de ceux qu’ils tiennent encore aujourd’hui. L’élément le plus notoire est d’annoncer, à chaque fois, que « tout va bien désormais et la paix est de retour au pays pour de bon !». La suite, bien sûr, n’est souvent que plaisanterie de mauvais goût.

Par exemple, sitôt l’Espérance renaissait en 1987, les « réalités tchadiennes » gravées dans les caractères et les logiques personnelles des acteurs politiques reprirent le dessus. Après les « sudistes » en 1984 et les groupes « hadjeraï », les Béri (Zaghawa et Bidéyat) allaient, à leur tour, subir une répression féroce des FANT et de la DDS réunies, au cours de laquelle rien que le clan Itno perdit près d’une centaine de ses membres. La satisfaction du président Alingué, à la tête de la toute nouvelle assemblée nationale, sera de courte durée, car cette seule réalité suffira à mettre un terme à la fiesta politique à N’djaména le 1er décembre 1990.

Pourquoi rappeler tout ça ? Entre 1986 et 2007, une nouvelle génération est née et réclame aujourd’hui sa place. Elle fait au moins 60% de la population tchadienne. La génération des jeunes qui fuirent leurs maisons voire leur pays en 1979 (et laquelle j’appartiens) n’a toujours pas trouvé la paix et la tranquillité promise par la seule génération des acteurs qui animèrent les négociations et la signature de l’Accord susmentionnée. D’autres compatriotes attendent à Hadjer Marfaïne un signe des temps pour se décider s’il faille venir à N’Djaména dans un vol Toumaï ou en Toyota. C’est beaucoup trop de choses à la fois ! S’il fallait revenir à l’expérience de la DCP (Démocratie Consensuelle et Participative) ayant accouché le cadre légal que contestent aujourd’hui ses propres géniteurs et promoteurs d’alors ? Deux générations bloquées à cause d’une seule, cette surpression ne tardera pas à exploser un de ces jours, et comment ? Dieu seul le sait !

J’avais cru entendre le président Alingué mettre en garde, dans son discours, ceux qui dénigrent déjà cet accord négocié au frais et en vase clos dans les grands hôtels de la capitale. Peut-être un coup de pied à M. Yorongar ? Qu’il aie au moins l’amabilité de reconnaître à une frange importante de son peuple la légitimité du réflexe de prudence et de scepticisme, après tant de mirages ? Je ne me donnerai pas la peine de décortiquer les failles de cet énième « accord historique » arrosé par de larges sourires au Palais Rose. Car, comme le disait subtilement M. Mahamat Hissène à l’occasion, « mieux vaut encore ça que rien ! ». En attendant aussi le cocktail que produira la combinaison avec la démarche du groupe du président Goukouni et d’autres. Cependant, comme les N’Djaménois l’ont démontré lors de la panique du 22 mars puis du calme olympien du 13 avril 2006, plus personne n’entend fuir sa baraque quand les faces cachées des acteurs tenteraient de produire des évènements contraires à la logique de la paix.

Parce que, pour arriver à l’échéance fixée de 2009, après que les acteurs politiques se seront renfloués avec les revenus pétroliers, il y aura mieux que la question du vote, celles du vécu quotidien des tchadiens face aux injustices, aux discriminations régionales, à la violence et à l’impunité, à la corruption massive et à la gabegie financière, etc., toutes choses qui préoccupent prioritairement l’écrasante majorité des tchadiens.

Il y a deux générations qui s’identifient comme les victimes réelles des actes posés jusqu’ici par leurs aînés. Au-delà de l’imperfection des papiers signés avec de larges sourires, ce que ces jeunes tchadiens de tous les bords veulent pour se convaincre, c’est de constater que ces fois-ci, ce sont les bonnes fois où les acteurs politiques tchadiens sont de bonne foi ! Ils n’auront pas une autre occasion pour se moquer encore des gens ! Car nous savons tous que c’est la volonté réelle des uns et des autres qui fera que, avec ou sans accord, la paix devienne une réalité définitive dans notre pays, avec pour fondement la justice, la tolérance et l’équité.

Enoch DJONDANG

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