Il y a quelque chose de bizarre dans l’action politique. Tout tourne autour des alliances factices entre « le moi », « le mon allié », « le mon ami ». Et ces alliances politiques et ces amitiés mènent fatalement à des déchirures, à des séparations et des retournements spectaculaires. En observant les retournements des alliances au Tchad, la tentation de dire que la vie politique tchadienne est une symphonie d’ironie est fort juste. Le dialogue vient de s’achever. Le gouvernement d’union nationale (GUN) est formé. Alors la refondation de ce pays aura-t-elle lieu?
D’abord, la parfaite illustration de l’ironie politique de l’année est immortalisée par la lecture en direct à la télévision par l’ex-président du présidium Gali Gata Ngothé (GGN) lisant le décret de nomination de son ami de toujours Saleh Kebzabo (SK), son adversaire éphémère et son allié du jour pour la refondation.
Beaucoup des Tchadiens ont souri, se rappelant les salves épistolaires entre les deux avec: Les « Saleh et cher ami », « …tes militants, tes camarades, sympathisants et amis qui ne sont pas du parti sont-ils aussi ta propriété? », « …le gain ne doit pas s’éloigner de toi », Gali reprochant à SK l’entrée de ses partisans au gouvernement, sa disponibilité personnelle à appuyer le défunt Conseil militaire de transition (CMT), etc.
L’opinion publique se rappelle aussi de la réponse sarcastique et inoubliable de SK, avec la célèbre expression « Tu quoque filli » ». Et les interrogations alignées les unes après les autres. « Toi aussi? », « Oui mon fils », « Une mouche t’aurait-elle piqué ou un méchant chien mordu? », « Car entre nous, c’est du béton », « …la phase tragi-comique du phacochère », etc.
Les Tchadiens ont raison d’avoir de la misère à croire aux hommes et aux femmes politiques. La subite précipitation de Gali à se fondre dans le futur projet de refondation et l’arrivée de SK à la primature a sonné les Tchadiens. Nombreux n’ont que ces phrases en bouche, « dounia, Gali à la présidence? Et Kebzabo à la primature? C’est vrai que Maréchal du Tchad n’est plus ». Bref, dans cette histoire SK a été cohérent avec lui-même. Pas Gali.
Ensuite, le dialogue national inclusif et souverain (DNIS) est désormais derrière nous. Il a été un grand moment qu’on le veuille ou non. Il n’a malheureuse pas été totalement inclusif, ni à 100% souverain. Des sujets majeurs ont été effleurés comme la réforme de l’armée. Des sujets incontournables ont été contournés comme la Justice. Seul, le Président de transition est sorti gagnant. Il a tous les pouvoirs. Plus que Deby père à la sortie de la Conférence nationale souveraine (CNS) de 1993. Tout compte fait le nouveau Premier ministre de transition (PMT) SK) a la carrure et la tempérament pour le poste mais aura-t-il les coudés franches pour peser sur les prochaines étapes? Il semble devenu aux yeux de plusieurs Tchadiens « un accompagnateur professionnel » de la transition. Et s’accommodera des ordres du palais rose qui lui imposeront la conduite à tenir en dehors des recommandations et des résolutions du cahier de charge.
Aussi, ce gouvernement d’union nationale (GUN) rappelle, pour les plus vieux, GUNT 1, GUNT 2 dans l’histoire politique tumultueuse du pays.
Première observation de forme : c’est un gouvernement gérontocratique rempli d’anciens, des politiques en fin de parcours. Pourront-ils ou auront-ils l’énergie suffisant pour faire traverser au pays les futures secousses politiques et les intrigues qui ne manqueront pas?
Deuxième observation de fond : c’est la seconde phase de la transition avec ses menaces politiques internes : la bataille des positionnements, le referendum sur la forme de l’État, etc.
Les menaces externes aussi sont présentes. Il s’agit entre autres : des possibles sanctions de la communauté internationale, des menaces de deux mouvements rebelles et l’opposition incarnée par Les Transformateurs et Wakit Tamma qui ont lancé un appel à la manifestation aujourd’hui mais déjà interdite.
Enfin, troisième observation de fond : l’absence des arabophones de l’opposition démocratique. Ils sont les grands oubliés. Ce gouvernement d’union est régionalement mal reparti. Il ne reflète pas les équilibres politiques et démographiques. Les jeunes sont également sous ou mal représentés. Et le cas flagrant c’est celui des femmes qui sont, la plupart, reléguées au poste de ministre secrétaire d’État. Ce GUN ne semble pas être l’œuvre du PM SK. Sa touche n’apparaît nulle part. On peut reprocher beaucoup de choses à SK mais on ne peut pas lui reprocher de ne pas être un homme intelligent et un fin politique. La composition de ce GUN semble lui avoir échappé. Et a échappé à la rupture attendue par les Tchadiens.
Bello Bakary Mana