Je me suis couché tôt pour arriver tôt ce samedi au palais du 15. C’est la fin de plus d’un mois de dialogue.
7h 35 min. Je tente d’accéder au palais. C’est un embouteillage monstre causé par la fouille. Policiers, militaires organisent un beau désordre aidé en cela par des automobilistes qui ne respectent aucune règle.
8h 5 min. Deuxième fouille sur la terrasse de l’esplanade avant de franchir les cabines chargées de désinfecter les invités. On ne s’amuse pas avec la santé du jeune président de transition (PT).
8h 15 min. Enfin je m’assois dans la grande salle où on a palabré dure durant 45 jours. Les dispositions ont changé. Les travées aux couleurs du drapeau national ont cédé la place à une couleur unique, le bleu de nuit. Sur une grande banderole en fond de scène on peut lire « cérémonie officielle de clôture du DNIS". 13 chaises sont disposées. Celle du PT est reconnaissable par les signes distinctifs des armoiries de la République. Techniciens, agents de sécurité, agents de renseignements, proches collaborateurs du président s’affairent, vérifient et revérifient micros, pupitres, etc.
9h 30 min. La salle est pleine, les bruits des salamalecs et des causeries l'enrobent. Certains invités en retard ont de la misère à se trouver une place assise. Ils sont debout, guettant la moindre chaise libre.
9h 40 min. Le spectacle des danses traditionnelles commence. C’est le Tchad culturel en miniature qui étale toute sa belle diversité. J’étais captivé par les différentes danses. Je reconnais quelques danses, mais ma connaissance était limitée. Mon ignorance me gênait, je me suis résolu à demander à ma voisine de devant à chaque fois qu’une danse est exécutée. La danse « baguirmienne » me semble la plus élégante.
10h 25 min. Arrivée du désormais président de la transition (PT). Il scintillait de joie. Il a tout obtenu. Tous les pouvoirs. Il est seul maître à bord du compliqué navire Tchad. À son âge, c’est un coup de maître.
10h 35 min. Le président du présidium Gali et son rapporteur sont conduits par le protocole à leur siège avant de leur demander de descendre de la strate pour suivre probablement la Tchadienne.
10h 40 min. L’hymne militaire retentit. Le chef du protocole tel un chef d’orchestre ordonne à la salle de se lever. Le PT Mahamat Idriss Deby Itno fait son entrée, baguette de général 5 étoiles à la main, treillis bien taillé, béret militaire bien ajusté, lunette fixée sur un visage presque juvénile, il est désormais légitimé par cette cérémonie. Il rejoint en bas les Gali et les autres. L’hymne national est entonné.
10h 55 min. Une pièce est jouée. Elle est intitulée la chaise unique. Une idée de Nocky Ndjédanoum et de l’ex-ministre et journaliste Hassan Sylla Bakari. Les acteurs se battent pour s’asseoir sur la chaise. Ils sont nombreux, mais il n’y a qu’une chaise. Et il n’y aura qu’une personne pour l’occuper. L’idée à travers cette pièce est d'appeler les uns et les autres à l’entente pour le bien du pays.
11h 28 min. Le rapporteur général Limane Mahamat prend la parole. Il rappelle le processus qui a mené au DNIS tout en faisant un peu de l’histoire avec la Conférence nationale souveraine (CNS) de 1993. Suivra la traduction en arabe.
11h 55 min. Au tour du rapporteur général adjoint d’intervenir. Il parle de la promulgation de la nouvelle charte, loi fondamentale du pays. Ensuite, les résolutions se succèdent les unes après les autres lue par des personnalités.
13h 00. La fatigue commence à gagner tout le monde lorsque le comédien Razalo fait irruption et donne une bouffée d’oxygène à l’assistance par son humour corrosif imitant à la perfection le président du présidium Gali dans ses œuvres « c’est non », « micro baladeur », « travée jaune », « les journalistes dehors », etc. La salle est morte de rire, Gali aussi, le PT également. L’ambiance s’est détendue…
13h 4 min. Gali est appelé à prononcer son discours. Il se lève, domine le pupitre, mais oublie son discours derrière lui avant de le reprendre et de revenir. Je le sentais heureux, il salue tout le monde, s’excuse de ne pas respecter les codes d’une cérémonie aussi exceptionnelle. Et dit, « je vais le faire dans mon style propre, non conforme, mais sortie profondément de mon cœur ». Il ironise un peu avec ses expressions « rendez le micro », « micro baladeur ». Il remercie tout le monde. On le sentait ému et sincère en lançant aux participants « je vous aime tous ». Il retient 4 points importants à son avis. Un, l’ accord de Doha. Deux, la gouvernance politique. Trois, le besoin de parler des Tchadiens, de parler librement. Il se tourne vers le président de transition et dit « quelle injustice! Il faut une correction totale ». Quatre, le peuple tchadien est un peuple arc en ciel. Les Tchadiens ne veulent plus de la violence politique, ils sont fatigués du statu quo. Le peuple tchadien attend la refondation. M. le président Justice et Liberté. Il lance, « l’électricité là, il faudra s’en occuper… », « ne dit-on pas que les actions concrètes parlent plus haut que les mots ». Il remercie les participants. Gali est un affectif, un sentimental, un attachant, un émotif. Les 45 jours l’ont attaché aux participants, il semble avoir de la misère à s’en détacher, mais quand c’est fini, c’est fini.
13h 25 min. La parole est au PT. Il commence, je m’attendais à une grosse annonce qui fera bouger la planète politique tchadienne. Rien de cela. Il s’est engagé à rendre exécutoires les résolutions et les recommandations. Il affirme donner sa parole de soldat. Il appelle les acteurs politiques qui ont refusé de participer au DNIS d’animer la vie politique. Et aux politico-militaires d’entendre raison, de se détourner de la conquête du pouvoir par les armes. Une aventure sans lendemain, dit-il. Et annonce « je me tiens devant vous et devant Dieu de libérer les prisonniers de guerre », la salle applaudit.
Le discours est traduit en arabe. C’est lourd. C’est long. Certains participants tentent d’aller se soulager la vessie. Ils sont refoulés.
14h 00. La cérémonie prend fin. Les invités sont appelés dehors. Ils s’alignent pour avoir la chance de serrer la main du jeune prince. Le spectacle du « pousse-toi de là que je m’y mette » est renversant. Je vois mon voisin qui a réussi à se glisser au premier rang VIP. On en rit avec mon confrère. Le président sort, mais sa garde rapprochée l’empêche de saluer correctement les invités alignés comme des petits garçons qui attendent l’aumône. Et prendre une petite part de la baraka qui s’est abattue sur le jeune président pour les 24 prochains mois. Il s’engouffre dans sa V8 et reapparaître sur le toit agitant son bâton de commandement sous les « youyous » pour disparaître sur le chemin menant à son palais en compagnie de toute une armada signe que ce pays est encore loin d’une véritable paix. Et d’une vraie démocratie.
Bello Bakary Mana