La guerre des tranchées et les tranchées de la paix

Written by  Jui 21, 2008

Selon les grands médias, l’Alliance Nationale, principale coalition des forces rebelles tchadiennes (ou « mercenaires » selon), vient de déclarer sa disponibilité de participer à un ‘dialogue inclusif’ avec le pouvoir et les autres acteurs. Nous n’allons plus revenir sur les contours de cette terminologie ‘dialogue inclusif’, car c’est par les faits et les intentions réelles des acteurs publics tchadiens que ce ‘machin’ prendra une forme qualifiable. Nous saisissons cette annonce de la rébellion, survenant après une défaite militaire confirmée à mi-mots, pour analyser là où nous en sommes aujourd’hui dans la difficile quête de la paix. Nous essayerons avec l’indulgence des internautes de résumer les positions des belligérants de la crise tchadienne, au regard seulement des faits avérés, pour voir à quelle distance sommes-nous de la paix.

D’une manière générale, la position des rebelles a toujours connu deux variables.
Quand leurs leaders étaient en négociation en 2007 en Libye, ils avaient dans un premier temps, réclamé la participation des partis politiques et de la société civile comme préalable aux discussions. Par quelle alchimie, quelques temps plus tard, ces mêmes leaders déclarèrent publiquement qu’ils lèvent ce préalable de participation des autres acteurs et que les négociations étaient très avancées, à part quelques petits détails à évacuer. Pour les partis politiques (CPDC, FAR…) et les sociétés civiles qui faisaient de cette participation leur credo, ce fut un vrai coup de poignard dans le dos. Puis les Accords de Syrte furent signés en grande pompe le 25 octobre 2007 et largement diffusés pour la première fois. A ce stade, les tchadiens pouvaient espérer approcher la paix. Malheureusement, la sincérité était absente de toutes ces gesticulations. On ne croit qu’aux armes et ce sera comme ça !

La preuve ? Un mois à peine après Syrte, les rebelles déclarèrent ces accords caducs et les hostilités reprirent de plus bel en fin 2007, pour atteindre leur apogée en février 2008 avec le cauchemar de N’Djaména. L’échec de cette énième tentative de coup de force et la gravité de ses impacts ont fini de convaincre l’opinion que la paix n’est pas pour demain.
Avant de tirer une telle conclusion hâtive, analysons les paramètres, côté rebelle, qui rendront difficile un vrai retour à la paix ou même simplement une ‘paix des braves’ (solution ne concernant que les promoteurs de la main armée). Sans se tromper, la conception de la solution finale, pour la plupart des groupes rebelles, sous-entend les éléments suivants :

-   En priorité, le renversement par tous les moyens du général IDI : il parait inconcevable, pour certains leaders ayant été proches de ce dernier et parents, de revenir comme simple ‘courtier’ à ses pieds (question d’honneur tribal ?) ;

-     A défaut, gagner du temps en obtenant une position politico-militaire dans le système qui permettra d’y arriver tôt ou tard ;

-     Pour cela, un désarmement des milices rebelles parait la pire des bêtises pour ces leaders : ils exigent de rentrer avec leurs forces telles quelle, en considérant que la signature d’un accord les reverse automatiquement, avec armes et bagages, dans les forces gouvernementales. De plus, ils avaient contribué eux-mêmes à cette partition de la force publique en assemblage de forces clanico - tribales, selon les alliances secrètes entre familles dominantes ;

-     Pour les groupes rebelles issus des ethnies ‘délaissées’ du pouvoir FROLINAT, le ralliement et le désarment sont possibles, moyennant quelques compensations avantageuses dans l’Administration et l’armée, ce qui explique la facilité avec laquelle ils finissent par rallier le pouvoir en place ;

-     Les Accords de Syrte n’ont jamais reconnu l’Accord du 13 août 07 comme ‘l’Accord de base’ du règlement du problème tchadien, ce qui veut dire que le suffrage universel qui doit fonder la légitimité de tout pouvoir et de toute autorité, parait encore incompatible avec les intérêts et les visées des rébellions tchadiennes. Aucune d’ailleurs n’a jusqu’ici fait des commentaires sur le contenu de cet accord, ses insuffisances et des propositions concrètes pour le compléter utilement et le renforcer.

En face des rebelles, les partis politiques, tout en réclamant le dialogue inclusif, défendent un autre credo. Ils savent qu’ils sont liés par les textes fondant leur existence et régissant leur fonctionnement. Ils savent que, dans les conditions normales d’un pays démocratique, seuls les partis qui siègent à l’hémicycle ou sont capables de tenir la rue dans une confrontation avec l’autorité en place, sont considérés comme les vrais acteurs politiques. Or, dans notre contexte, peu seraient en mesure de remplir ces critères, même si l’étau sécuritaire et répressif se desserrait. Alors, certains sont partants pour espérer que l’application correcte de l’Accord du 13 août 07 correspondrait aussi à leurs intérêts et à leurs visions du pays. Tandis que d’autres visent tantôt la contribution financière promise de l’Etat en s’agitant dans la mouvance présidentielle, sans rien représenter sur le terrain. D’autres encore, selon la logique de l’opportunisme et de la sournoiserie à la tchadienne, ont les pieds des deux côtés du fossé : le jour, ils sont légalistes dans un camp, la nuit ils espèrent la réussite d’un putsch militaire qui les permettraient de s’allier aux nouveaux maîtres du pays dans le partage du gâteau du pouvoir.

Assis autour d’une table ronde ou carrée, face aux rebelles, la position de certains partis politiques sur certains sujets tels que l’actuel mandat présidentiel, serait fort délicate, au risque d’être considérés comme des partisans des dits putschistes. Or, c’est ce qu’espèrent certains des leaders rebelles pour qui la cohabitation avec IDI pour quelques temps légaux encore serait pire qu’une prison !
Maintenant, voyons le côté des sociétés civiles. Le risque le plus évident pour ces activistes est de se faire piéger sur un terrain où les intérêts et la loi de la jungle justifient l’acharnement et les coups fourrés. La société civile ne peut que défendre des règles du jeu claires et sincères. Elle ne peut pas transiger sur des questions inévitables, telles que les crimes politiques, la responsabilité des conflits intercommunautaires, les causes des injustices socio - professionnelles, le caractère impersonnel et non appropriable de la fonction publique, etc… Si elle a le courage de faire de ces points son credo, elle risquerait d’être l’ennemie la plus coriace des autres acteurs publics, principalement tous ceux qui défendent la légitimité de la main armée et de « ses acquis ».  Alors, on peut bien s’interroger sur ce qu’espère la société civile dans des discussions creuses et virulentes qui tourneront quasi-exclusivement sur les attaques de personnes et/ou de clans rivaux autour de la question du pouvoir ? Les réconcilier sur quoi et contre qui ? L’Etat de droit ? La démocratie pluraliste ? Le suffrage universel direct, transparent et incontestable ? Au regard des enjeux, il importe que la société civile cadre préalablement et rigoureusement sa participation à des rounds politiques, au risque que la naïveté et l’inexpérience de certains de ses leaders ne la piège et ne la discrédite durablement.

Du côté du pouvoir et du gouvernement, les tentatives de coup de force des rébellions, depuis au moins les Accords de Syrte, ont fournis une argumentation en béton pour mettre le tout sécuritaire en priorité.
En effet, il n’est aucun régime si menacé par ses opposants, qui accepte gentiment de se faire « hara kiri ». Les actions rebelles, ayant de surcroît échoué plusieurs fois, ont conduit les partenaires extérieurs et même un peu plus d’opinion publique intérieure, à opter pour la sécurité et la stabilité, en d’autres termes faire avec le pouvoir en place, devant l’inconnue lourde en incertitudes. Les partisans de la rébellion armée, actifs sur le Net, devraient prendre en compte cette donne qui va croissante en audience. Les gens en ont marre d’être réduits, avec leurs familles, à fuir ou à se tapir sous leurs lits, dans l’attente que des frères ennemis règles leurs comptes qui semblent ne pas concerner tout le monde. Pourquoi le citoyen lambda en est arrivé à cette attitude ? La réflexion n’est pas exclusive, pourvu qu’elle soit objective. Il est rare, dans l’histoire des peuples, que l’état d’esprit des populations soit plutôt de fuir devant l’avancée des « éventuels libérateurs ». La relecture objective des évènements de février dernier s’impose !

Le sentiment frustrant d’être pris dans l’étau soudanais, malgré la gravité de nos problèmes intérieurs, renforce davantage cette défiance populaire face à l’inconnue des aventures politico-militaires. L’autre revers des tentatives de coup de force des rebelles, c’est le risque de la crispation du pouvoir dans la perspective des prochaines consultations électorales. Car non seulement elles risqueraient d’être hypothétiques, dans l’impossibilité de réaliser de vrais recensements dans un climat de guéguerre permanente, mais elles arriveraient à échéance sans que l’opposition civile n’ait eu le temps de se préparer, à cause de la guerre cyclique. Gageons que la saison des pluies soit mise à profit par les démocrates pour reprendre la main sur les « mains armées », sinon on tournera en rond !

La dimension personnelle et clanique est essentielle dans les atermoiements de tout processus de normalisation. Nous avions dit plus haut que le désarmement effectif des forces rebelles, avant ralliement, leur paraissait inacceptable dans leurs perspectives secrètes. Il y aurait d’autres raisons plus sociologiques à cela : la vendetta ! Cette barbarie d’un autre âge qui a fini par s’imposer dans la vie publique tchadienne, comme la tradition albanaise de la vengeance, empêche ses promoteurs de concevoir une vie normale où la sécurité, l’intégrité physique et la quiétude seraient simplement assurées par les services sécuritaires de l’Etat sans exclusif. La masse des crimes de sang commis de sang-froid et non jugés, les codes d’honneur violés à l’occasion des représailles sur le terrain des affrontements fratricides (viols, vols aggravés à main armée, assassinats, massacres intercommunautaires) rendent difficile l’acceptation d’un désarmement social général. Tandis que, à l’exemple tragique du leader de l’ex-rébellion FUC rallié, il serait désormais inacceptable pour le général IDI de permettre à des ‘Robin des Bois’ de faire la parade à N’Djaména devant les portes du palais rose avec leurs Toyota et leurs sbires armés jusqu’aux dents, sous- couvert d’accords de réconciliation. Les grandes tranchées et le dispositif défensif de la ville en témoignent amplement. Alors, quelle sera l’alternative pour les leaders les plus coriaces de la rébellion armée ? Pourront-ils supporter la mésaventure de Jean-Pierre Bemba ou de Mahamat Nour Abdelkérim ? Accepteront –ils l’exil et la renonciation en échange de la paix ?

En conclusion, au regard de tout ce qui précède, on est loin d’espérer un retour imminent de la paix, surtout que certains acteurs sont habitués à cette situation de chaos permanent depuis leur jeunesse.
Ils pourront persister aussi longtemps que le destin n’en décide autrement, peu importe le prix pour les tchadiens ! Tant que les parrains extérieurs peuvent tirer leurs profits de cette sale guerre, tant que la majorité silencieuse et ses élites démissionnaires se camperont dans la peur et la fatalité, tant que l’argent nerf de la guerre coulera à flot pour soutenir les conflits au détriments des impératifs de développement et de lutte contre la pauvreté, les tchadiens doivent accepter de vivre l’enfer comme leur lot et leur mérite collectif !

Quelqu’un avait écrit sur le Net : « Que valent plus ces révolutionnaires que le défunt Néhémie dans la dénonciation de l’injustice ? ». Tentative de réponse : mon ami Néhémie était précurseur d’un Tchad Nouveau qui est encore à l’état de fœtus dans l’esprit de ses compatriotes, donc trop en avance sur le temps. C’est peut-être aussi notre malheur commun, les amis de Néhémie, de Béhidi, de Dr Ibni et de ceux qui tiennent encore le nez hors des eaux boueuses et puantes du pays de Toumaï le troglodyte et des Sao ?

Enoch DJONDANG

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