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En hommage au grand démocrate Ibni Oumar Mht Saleh

Written by  Mar 17, 2008

Chers amis,
Je romps le silence que je me suis imposé depuis mon dernier article sur www.ialtchad.com/opinion/’’L’illusion de pouvoir pour lequel les tchadiens s’entredéchirent…’’ du 06/12/07, article que les tristes évènements de février dernier ont largement confirmé, une fois de plus pour ma peine. Je connais mieux que quiconque les risques encourus d’une arrestation, d’une élimination ou d’une disparition en cette période de folies fratricides qui anime les élites de notre pays. Mais nous est-il permis de se taire face à la menace et à la probabilité tangible d’une disparition tragique de notre pays, hypothèse encore plus insupportable pour des gens sensés que la somme des désastres et des folies consommées ? 

Dès le départ, nous avions dénoncé le fait que la majeure partie de nos élites (qui s’expriment) et de la diaspora est fortement acquise à l’apologie de la violence politique, comme s’il s’agissait d’un jeu d’enfants, après plus de trois décennies d’expérimentation de cette recette. Aujourd’hui, au grand jour à N’Djaména en ce mois de février 2008, après que les compatriotes ruraux de l’Est et du Centre l’avaient déjà maintes fois subies depuis trois ans sans répit et dans l’indifférence générale, l’opinion découvre la réalité de la mise en œuvre des théories fratricides des uns et des autres. La population de la capitale, réfugiée, déplacée, déguerpie ou non, vit amèrement dans sa chair et dans son âme ce déclin collectif, dans l’impuissance totale. Tandis que les tons, les préjugés, les mesquineries et l’insensibilité des élites positionnées sont restées les mêmes, comme si cela ne suffisait pas encore ?

Il y a eu plusieurs évènements classés ‘graves crises’ au Tchad depuis le tout premier d’envergure, la révolte populaire du 16 septembre 1963 à Fort-Lamy (Quartier Mardjane Daffek et Centre-Ville), matée dans le sang par la jeune armée nationale de l’époque sous Tombalbaye. Mais ce qui s’est passé dans la semaine du 02 au 08 février 2008 à N’Djaména dépasse encore l’entendement. Non pas que février 1979 ait été déclassé en horreur et en folie. En 1979, il y avait cette cassure nord-sud qui atteignait son apogée, drainant ses préjugés, ses rancunes, ses revanches, ses victimes, entre l’école revancharde du FROLINAT et les pouvoirs fantoches en place. Février 2008 a-t-il quelque chose en commun avec 1979 ?

1)     Le contexte est différent : une guéguerre fratricide et interminable de clans apparentés ou rivaux, instrumentalisés, financés et lourdement armés par les mêmes puissances qui n’ont cessé d’endeuiller la nation tchadienne depuis plus de 35 années ;

2)     Comme ce fut le cas avec les régimes précédents, ces milieux gangrenés par le virus de la contestation armée, usent d’arguments fallacieux pour prendre en otage tout processus de normalisation de la vie publique et de la construction d’un Etat de droit moderne ; rien ne peut se faire de façon durable et pour le bien des générations futures, tant que l’appât d’un pouvoir juteux, qui est censé délivrer toute une communauté de la misère endémique, devient un motif suffisant pour déclencher les aventures politico-militaires ruineuses ;

3)     Avec la multitude des accords signés et aussitôt dénoncés ou violés, il est probant que les acteurs publics ne seraient pas tous prêts à sacrifier leurs ambitions et leurs tares pour donner une chance historique à notre pays ; pire : quand le péril physique est mis en relief, la méfiance épidermique et les arrières- pensées obscures conduisent inévitablement à des incidents malheureux, comme ce fut le cas des disparitions d’hommes politiques le 03 février dernier ;

4)     Il y a un choix absolu à faire au niveau politique entre les deux modèles, démocratique ou à main armée, qui se disputent la scène publique ; il n’y a pas d’autres alternatives. C’est une question préjudicielle qui mérite une réponse claire de tous : pouvoir, opposition, société civile et rébellion armée. On ne peut pas continuer de faire cohabiter les deux modèles dans un même pays en ce 21e siècle. Chaque modèle procède d’une vision de société et d’un historique différent. Les intérêts en jeu sont aussi divergents. Si l’écrasante majorité des tchadiens choisit finalement la démocratie et l’Etat de droit universellement pratiqué, alors il restera aux politico-militaires de se référer intégralement aux Accords de Syrtes du 25 octobre 2007 qui les concerne exclusivement. En considérant ces accords comme une annexe de l’Accord du 13 août 2007 qui est fondamental. Dans l’optique d’un dialogue inclusif, c’est l’une des premières questions préalables sur laquelle chacun doit se prononcer !

5)     Comme il est aussi illusoire de croire qu’un simple dialogue inclusif, face à face entre tous ces acteurs autoproclamés suffirait à purger le pus du mal tchadien. Le fond du problème est l’enjeu du pouvoir et de la survie des groupes ethno –claniques qui se battent pour son contrôle. Dans l’ambiance de désordre régnant, d’aucuns croient fermement ne pas trouver leur compte si jamais le Tchad redevenait un pays normal, avec des règles consenties et respectées par tous et une certaine égalité entre les citoyens. Ceux-là, de quelque bord qu’ils soient, sont malheureusement les plus présents et actifs sur la scène et les mieux connus et soutenus de l’étranger, auxquels s’ajoutent de nombreux opportunistes. Les autres tchadiens paieront toujours plus chèrement le prix de leur apathie !

6)     La guéguerre tchadienne n’est pas une fatalité mais un vrai business pour certains : pourquoi le courage manque-t-il tant aux élites de faire l’analyse critique et le bilan humanitaire et économique du phénomène de la violence politico-militaire de manière impartiale et rigoureuse ? Pourquoi des élites trouvent normal l’instrumentalisation de groupuscules sans véritables projets de société et se confondant de surcroît avec des clans en train de se faire décimer inconsciemment sous ces illusions de domination guerrière ? Pourquoi un tchadien digne de ce nom ne se poserait-il pas des questions sur la prospérité du commerce des armes en direction de son pays, soit disant pour soutenir tel contre tel ? Nos élites auraient-elles perdu le bon sens, à cause de la haine viscérale, jusqu’à ce niveau insoutenable d’archaïsme intellectuel ?

7)     Un constat amère : le silence voire l’impuissance des organisations de défense des droits humains durant cette énième crise majeure, à quelques exceptions près ; tous n’étaient pas directement menacés et il y avait des marges pour agir ne serait-ce que vérifier les infos, pour contrecarrer les ravages occasionnés par la rumeur folle, ou encore interpeller les belligérants sur les dégâts collatéraux subis par la population ? Malheureusement ces évènements ont mis à nu l’absence de stratégie de gestion de crise et de capacité d’anticipation qui faisait la notoriété d’antan de ces organisations. La recherche de positionnement personnel, le goût de la villégiature offerte aux leaders à la faveur de l’évacuation des étrangers, sans justifier dans bien des cas d’une menace directe réelle et la confusion de rôle avec les partis politiques ont démobilisé la base militante, et pire dévoilé l’incapacité de gérer la proximité des citoyens dans une telle kermesse de violations massives des droits humains. Cette carence se ressent fortement, sauf qu’elle relève encore de tabous ! La presse indépendante a été plus responsable en justifiant sa mise en quarantaine volontaire.

Avec tout ce qui se passe, nous devons aussi admettre l’échec collectif de notre processus démocratique par le comportement inqualifiable et récurrent d’une frange importante de notre population, lors de chacun de ces évènements politico-militaires, C’est l’échec sans appel de tous : des gouvernants, des partis politiques et de la société civile qui n’ont pas su éduquer le peuple dans le sens souhaitable ! Ainsi, tout le monde est devenu dangereux et anarchiste au Tchad. (Comme écrit sur le mur d’une des prisons secrètes de l’ancien régime : ‘l’homme tchadien est devenu un loup pour l’homme tchadien’).

Notre jeunesse, abandonnée à elle-même, est une source de grandes inquiétudes. Au vu de ses agissements quasi-quotidiens notoires, dans les cours d’école jusqu’au vandalisme honteux des 2-4 février dernier, elle ne s’illustre que par les casses, à l’image lamentable des aînés. Les ravages causés en deux jours de folie seulement sur les patrimoines publics et privés à N’Djaména devraient faire réfléchir les uns et les autres. Certaines personnes ont poussé le cynisme à trouver normal la casse des patrimoines des proches du pouvoir, mais restent silencieux sur les ravages du centre médical populaire ‘Assiam Vantou’, de MASOCOT (Programme Vih-SIDA) et même de l’OANET (pourtant siège des Associations !), fait d’armes des mêmes pillards en quête de ‘libération’ ? Ceux qui y voient l’expression d’un ras-le-bol populaire autant que ceux qui conviennent que c’est le summum de l’incivisme et de l’inconscience collective : dans un cas ou l’autre, il y a danger en vue pour l’Etat de droit démocratique !

Chose encore plus curieuse, c’est le fait qu’après le drame du début février, aucun sursaut patriotique n’est au rendez-vous : l’état d’esprit actuel des acteurs politiques et politico-militaires ne pourra que difficilement favoriser des entreprises de cohabitation pour le bien du pays. Il n’y a plus de confiance et l’argent perfide n’y changera rien. Il est très possible que la population subisse encore des drames plus critiques que celui des 2-3 février 08 à cette allure, en y participant elle-même.

Pour le dialogue inclusif (si cette solution pouvait encore marcher ?), il va falloir se montrer sérieux, trouver des tchadiens sérieux et conséquents pour les mettre autour de cette table ronde, définir les contours, la portée et les limites de ce processus, les thèmes-clés (étant entendu qu’on ne peut répéter une CNS bis), les qualités des acteurs et de quelle légitimité se prévalent-ils pour engager le peuple sans être mandatés, qui va garantir l’application des décisions ou résolutions, etc. Cette question de la garantie est de loin la plus difficile, car la versatilité et la perfidie passent pour des vertus au sein de la classe politique en général. Quand il est question de trahir pour une miette, on rivalise en ridicules !

Si l’on place l’Accord du 13 août 2007 au centre du dispositif de sortie de crise, avec comme annexe 1 les Accords de Syrtes du 25 octobre 2007 pour les politico-militaires de tous bords, il restera la racine du problème à discuter, à savoir la définition politique et consensuelle du profil d’une Armée Nationale et Républicaine véritable et les mécanismes contraignants pour sa mise en œuvre avant la fin du mandat actuel, avec une implication forte de la Communauté internationale. Voilà, à notre humble avis les éléments clés de la sortie de crise !

On est habitué aux rififis tchadiens : un dialogue inclusif précipité étalera au grand jour les supercheries et les perfidies, en plus de cette capacité incroyable de diaboliser ; aucune solution miracle qui n’aie été déjà proposée auparavant et, à la fin du spectacle le meilleur : une course effrénée et sans pitié pour les postes dans les organes retenus. Peu importe le prix des crises qui surviendront pour les populations, les bonus de morts, les nouveaux déplacés et exilés, les casses du patrimoine administratif des villes!… Nul n’imagine à ce point combien les acteurs publics devraient avoir comme problème de conscience ? Alors, face à face, yeux dans les yeux une fois encore, pourquoi pas ?

Nous souhaitons nous tromper pour une fois dans notre analyse, mais seul Dieu fera en sorte que les uns et les autres soient réellement au rendez-vous de la paix et de la justice ! La déchirure de février dernier semble plus profonde qu’en 1979 et, en plus des faits de l’état d’urgence, aura de graves conséquences sur la vie publique à court et à moyen terme. Il faut que les uns et les autres en prennent conscience et évoluent dans leur vision du pays, sinon la chute collective dans le gouffre somalien sera irrémédiable au prochain couac ! Si la griffe de l’état d’exception ne nous emporte pas, nous sommes toujours disposés aux échanges francs avec ceux qui le souhaitent et qui aiment réellement le Tchad.

Enoch DJONDANG

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