Il y a des sujets sur lesquels on ne peut pas discuter et écrire avec une certaine légèreté. Pour ce qui se passe à Kouri-Bougoudi, ce coin du pays hors de la République, il est difficile d’en discuter sans y laisser un peu de son humanisme. Que dire et écrire lorsque le massacre se passe presque en direct sur les réseaux sociaux ? Comment comprendre que des Tchadiens s’entre-tuent sans la présence des médias crédibles ? Il y a 4 raisons pour comprendre Kouri-Bougoudi, le Far West tchadien.
Première raison, tout le monde parle de l’absence de l’État mais en vérité l’État n’a jamais pris pied dans cette région. L’hostilité de son territoire, de son éloignement, sont certes des obstacles mais il est surmontable par la puissance publique. L’État, il faut le dire a démissionné. Tous les pouvoir successifs jusqu’à celui du président Hissène Habré se sont contentés d’observer tout en endiguant les dangers de la région en refusant de faire de la petite politique de courte vue avec les natifs de la région.
Sauf que l’ancien régime du défunt Maréchal a décidé de briser cette tradition en sous-traitant la sécurité à des chefs de bande de la région. Il a passé en catimini un deal qui se résume à : garantissez-moi de bloquer le passage aux rebelles et je vous laisse exploiter l’or du Tibesti. De plus, dans sa méfiance vis-à-vis des populations locales, il leur a adjoint comme contre balance les nouveaux pirates du désert communément appelé « les toroboro », qui sont pour la plupart originaires du soudan voisin. A Kouri-Bougoudi, c’est la loi du plus fort qui est la meilleure. C’est un lieu de non-droit où l’État est méconnu et combattu.
Depuis quelques décennies, la conception de l’État par ceux qui en son sommet est bizarre. Ils pensent que l’État ce sont les titres sans le mérite. Que l’État se sont les décrets sans la compétence. Que l’État c’est l’addition des complaisances amicales, tribales ou claniques.
Deuxième raison, l’exploitation anarchique des carrières d’or qui suscite tant de convoitises ne peut qu’entraîner l’émergence du banditisme, des brigands, des gangsters hors la loi. Un État normal ne peut pas accepter l’exploitation de ses ressources naturelles sans aucun contrôle, fut-elle artisanale. Cette exploitation non industrielle se fait selon un code tribal. Les gens des mêmes groupes ethniques s’installent entre eux, vivent entre eux, se constituent en milice d’autodéfense ou d’attaque, et sont motivés par deux choses : l’appât du gain et la préservation de ce qu’ils considèrent comme leurs ressources. Cette organisation encouragée sciemment ou inconsciemment par l’État est une bombe à fragmentation qui pourra embraser toute la région et emportée ce qui reste de l’État.
Troisième raison, la nature a horreur du vide comme la géographie ou le territoire a horreur de l’absence d’une administration publique compétente. Dans cette grande région, une nouvelle mafia s’est installée. Des nouveaux pirates du désert on fait leur apparition, les « toroboro ». Des cavaliers de l’enfer sur terre, les « djandjawid » lorgnent vers ce nouvel Eldorado pour prélever leur part. Nouvelle mafia, les « toroboro », l’ombre des djandjawide avec toutes ses ramifications étrangères est un explosif programmé.
Maintenant, quelle solution ? Le président de la transition est allé dans la région. Les Tchadiens attendaient de lui une solution et une nouvelle vision. Rien de tout cela. Il a proposé un rafistolage de plus injuste, une « solution apartheid » qui a consisté à chasser tous les tchadiens non-originaires de la région. Leurs matériels saisis, leurs carrières fermées. Ils n’ont pas le droit d’exploiter de manière illégale les ressources minières comme le font les locaux. Il y a visiblement des Tchadiens plus Tchadiens que d’autres. Kouri-Bougudi en est le parfait exemple.
Bello Bakary Mana