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Entretien avec Hourmadji Moussa Doumgor

Jui 12, 2006

« Comment voulez-vous qu’on aille à un dialogue qui pose comme préalable la démission du président de la République qui vient d’être élu démocratiquement ? ... (...) ...pour le moment il n’est pas question d’y associer les politico-militaires. » Hourmadji Moussa DOUMNGOR

Le Gouvernement tchadien vient de dépêcher une importante délégation ministérielle pour une mission d’information en Europe. La crise du Darfour et les nouveaux accords avec la Banque mondiale occupent une place prépondérante dans cette tournée. A l’occasion de son séjour à Paris, la délégation gouvernementale a organisé une rencontre avec les Tchadien(ne)s de France. À l’issue de ces retrouvailles, des brochures intitulées « PREUVES DE L’AGRESSION SOUDANAISE CONTRE  LE TCHAD » ont été distribuées. Cette rencontre a été suivie d’une projection de quelques images montrant la capture des « mercenaires soudanais » qui ont attaqué la capitale tchadienne en avril dernier. Une série de questions-réponses  suivie d’un buffet ont clôturé la rencontre dans une ambiance sereine et pleine d’allégresse. Ialtchad Presse a rencontré le ministre de la Communication, Porte-parole du gouvernement tchadien. Entrevue

Ialtchad Presse : Monsieur le ministre bonjour. Vous êtes en ce moment en France dans le cadre d’une tournée européenne. Quel est l’objet de votre mission ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
C’est une mission d’information. Trop de choses sont dites sur le Tchad, il est temps que le gouvernement informe, donne sa version des faits qui sont commentés dans un sens ou dans un autre, par rapport aux intérêts des uns et des autres. C’est une campagne d’information pour expliquer la situation telle qu’elle se présente, telle que nous la vivons et telle que nous la gérons.

Ialtchad Presse : Quelles doivent être les différentes étapes de votre périple européen ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
En principe, après Paris ça va être à Bruxelles. Nous avons pris des contacts, et c’est en fonction de ces contacts que nous allons poursuivre la mission qui, pour le moment, doit se poursuivre à Paris et à Bruxelles.

Ialtchad Presse : Où est-ce que votre mission vous conduira-t-elle après cette tournée européenne ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Dans bien d’autres pays qui seront ciblés après la présente tournée.

Ialtchad Presse : Vous faites partie d’une délégation composée de trois ministres et d’une femme parlementaire. Cette délégation est censée tenir une conférence de presse le 25 juillet à Paris. Aujourd’hui, vous rencontrez la communauté tchadienne de France, en l’occurrence celle qui vit à Paris et en région parisienne. Qu’est-ce votre délégation entend-elle dire à vos compatriotes expatriés ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Disons qu’il y a une ignorance ou bien une intoxication qui a induit un certain nombre de nos compatriotes en erreur par rapport à la perception de la situation qui prévaut au Tchad. Nous sommes venus ici pour leur dire que le Tchad a été victime d’une agression. Le Tchad a eu des difficultés avec ses partenaires en développement, ce qui a provoqué des tensions de trésoreries qui ont amené aux difficultés que nous avons en ce moment avec les syndicats avec notamment la grève sèche des hôpitaux qui a eu ces conséquences que nous connaissons. Nous avons également dit que le Tchad voulait aller au dialogue politique avec les acteurs politiques, les partis politique légalisés pour voir comment relancer la dynamique démocratique qui a fixé les échéances électorales dont l’une est l’échéance municipale qui doit avoir certainement lieu entre octobre et novembre. Suivra ensuite l’échéance législative, et pour cela il faudra que la classe politique, du moins celle qui, est au regard de la loi, anime l’expression démocratique, c’est-à-dire le régime - le pouvoir - et les partis de l’opposition puissent accorder leur violon, s’entendre sur un minimum pour que ce dialogue politique se renouer, pour que le processus démocratique se poursuive de façon sereine afin que les échéances électorales puissent être respecter, que les élections se font avec la participation de tout le monde de façon transparente. Donc quelles sont les conditions que nous devons créer ensemble. Voilà l’objet de ce dialogue qui n’a pas été très bien perçu par nos compatriotes qui ont fait l’amalgame entre une conférence nationale regroupant les politico-militaires, les associations de la société civile et les partis politiques. Nous avons essayé d’expliquer que le dialogue est une quête permanente, c’est une préoccupation permanente par rapport à soi, par rapport à sa famille dans la République, dans l’Etat. Il n’y a pas un moyen pour un dialogue précis, mais c’est par rapport aux échéances démocratiques, aux échéances constitutionnelles que nous avions estimé que s’il y a dialogue aujourd’hui, c’est un dialogue politique entre le gouvernement et les partis politiques légalisés afin de relancer le processus démocratique. Il ne faut pas l’ignorer, l’opposition a boycotté le recensement électoral, elle a boycotté l’élection présidentielle, ça veut dire que la vie démocratique risque d’être bloquée si l’opposition qui participe à l’expression démocratique ne participe pas aux élections. C’est cette préoccupation qui a amené le gouvernement à proposer aux partis politiques légalisés d’amorcer un dialogue qui permettra peut-être de dialoguer sur d’autres sujets d’intérêt national.

Ialtchad Presse : Les opposants tchadiens vivants en France sont-ils les bienvenus à cette rencontre ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Tant que leurs partis sont légalisés, ils sont conviés à ce dialogue.

Ialtchad Presse : Est-ce que c’est pareil pour l’opposition armée ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
C’est la différence que nous faisons avec l’opposition armée. Il faut dire que l’opposition armée a posé comme exigence ces derniers temps la démission du président Deby. Comment voulez-vous qu’on aille à un dialogue qui pose comme préalable la démission du président de la République qui vient d’être élu démocratiquement ? Que vous contestiez ou pas l’élection, dès l’instant où la cour constitutionnelle a rendu son verdict qui est sans appel, sa décision s’impose à tous les démocrates. Mais si on pose comme condition le départ du président de la République, dans ce contexte le dialogue n’est pas possible. Mais les contacts sont maintenus, la recherche de la main tendue est constante pour qu’à un moment ou à un autre, les compatriotes qui sont mécontents, qui ont pris les armes trouvent un moyen de négocier, de renoncer à la violence et d’engager un dialogue politique avec le gouvernement quitte à se constituer en partis politiques. Pour le moment, étant donné les préalables posés par les politico-militaires, il nous semble qu’il ne faut pas faire de l’amalgame.

Ialtchad Presse : Le 5 juin 2006, le chef de l’Etat a lancé un appel en direction de l’opposition démocratique pour une négociation de paix au Tchad, excluant du coup toute négociation avec l’opposition armée. L’opposition démocratique a refusé de donner suite à l’appel du président. Pour elle, une négociation de paix doit se faire avec l’ensemble des tchadiens, sans exclusive. Depuis lors, l’on est dans une impasse totale. Avec votre périple actuel, le gouvernement tchadien serait-il en train de revoir sa copie pour enfin tendre la main à toute l’opposition aussi bien démocratique que politico-armée ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Je vous annonce que la date du dialogue politique est connue. Cela est prévu pour le 28 juillet. Tous les partis politiques légalisés sont conviés. Dans tous les cas les problèmes du Tchad sont connus.

Ceux qui ne sont pas prêt pour venir à ce dialogue maintenant, viendront plus tard par rapport au résultat. Le plus important, c’est qu’est-ce que ce dialogue politique va produire comme résultat. Mais la date du lancement du dialogue politique est connue, ce sera dans quelques jours, le 28 juillet et tous les partis sont conviés. Mais pour le moment il n’est pas question d’y associer les politico-militaires.

Ialtchad Presse : L’opposition tchadienne de la diaspora vient de retenir les dates du 11 et 12 septembre prochain pour tenir une conférence dite « conférence de l’opposition » ici à Paris. Quel impact cela pourrait-il avoir sur le gouvernement tchadien ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Disons que quand les Tchadiens se rencontrent pour discuter du problème de leur pays c’est toujours une bonne chose. De la discussion, dit-on, jaillit la lumière. Maintenant qu’est-ce qui en sortira ? Le gouvernement sera toujours attentif à ce qui sortira d’une rencontre entre tchadiens. Mais pour le moment nous n’y sommes pas conviés, pour le moment on ne sait pas quel est le programme, quel est le sujet, autour de quoi vont se focaliser les débats. Pour le moment nous attendons de voir et nous apprécierons la conclusion qui sortira de ce dialogue.

Ialtchad Presse : Est-ce que c’est pour chercher à convaincre l’opposition de renoncer à l’organisation d’un tel forum que la délégation gouvernementale se préoccupe-t-elle tant à la rencontrer ce lundi 24 juillet ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Nous n’avons même pas évoqué cette question. Nous avons invité les compatriotes, les Tchadiens qui sont à Paris et qui ont besoin d’une information. Nous ne sommes pas venus à Paris pour détruire l’initiative de l’opposition. Cela n’a pas été notre préoccupation.

Ialtchad Presse : Le bras de fer qui opposait le gouvernement tchadien à la Banque mondiale vient d’avoir un dénouement heureux en faveur de l’Etat tchadien. Quels sont les tenants et aboutissants du nouvel accord qui vient d’être signé par les deux parties ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Je crois que ça repose essentiellement sur l’affectation des ressources pétrolières vers les secteurs dits prioritaires qui sont l’Éducation, les Infrastructures, la Santé, l’Environnement et autres. Je crois que c’est un très bon accord qui ne peut pas être considéré comme une victoire du gouvernement tchadien mais comme une espèce de normalisation de relation entre le Tchad et ses partenaires par rapport à un différend, par rapport à un malentendu qui avait fait que les relations étaient tendues, qu’on avait quelquefois suspendu notre coopération mais maintenant les choses sont rentrées dans l’ordre après des explications franches que le Tchad a données à la Banque mondiale et aux autres partenaires. Le Tchad est toujours engagé à utiliser les ressources pétrolières pour réduire la pauvreté, pour enfin transformer le Tchad en un chantier véritablement pour le développement parce qu’en fait le fond du problème tchadien depuis des années, c’est la pauvreté. Mais s’il y a les moyens pour résoudre les problèmes essentiels du peuple tchadien, je crois que nous aurons fait un pas et les ressources pétrolières seront mises à la disposition du développement du Tchad dans les infrastructures, dans l’Éducation, dans la Santé et je crois que la Banque mondiale et tous les partenaires du Tchad ont bien compris, étant donné que nous avons également les dispositifs de contrôle de gestion des ressources pétrolières. Je crois que je ne dirai pas d’une victoire, mais, d’un heureux dénouement. Cette crise qui a pénalisé le Tchad pendant un certain moment parce qu’il nous a manqué de ressources pour continuer nos projets de développement et maintenant les choses repartent à nouveau sur de bons rails avec la Banque mondiale, c’est une très bonne chose.

Ialtchad Presse : Quelles ont été les garanties octroyées par le gouvernement tchadien qui ont suscité la Banque mondiale à accepter de débloquer la situation ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
La transparence totale dans la gestion des ressources pétrolières avec un dispositif qui est mis en place en accord avec la Banque mondiale.

Ialtchad Presse : En vertu de cet accord, il a été créé un fonds de stabilisation qui a supplanté le fonds pour les générations futures. Comment ce fonds pourrait-il permettre de combler le déficit de l’Etat ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
De toutes les façons le fonds de stabilisation ne fonctionne que quand les ressources attendues sont importantes. Ce fonds permet de maintenir une constance dans le projet de développement engagé.

Ialtchad Presse : Selon cet accord, 70 % des fonds serviront au développement et à la réduction de la pauvreté. À quoi serviraient les 30 % restants ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Les 30 % des fonds restants permettront de faire fonctionner les différentes structures de l’Etat, l’administration. Vous savez que les préfectures, les gouvernorats, les sous-préfectures vivent dans des conditions extrêmement difficiles. Cela permettra donc de donner les moyens d’un renforcement des capacités de l’administration d’une façon générale.

 

Ialtchad Presse : La crise du Darfour est en train de gangrener dangereusement la situation entre le Tchad et le Soudan voire la sous-région tout entière. Au-delà de votre mission actuelle qui consiste à informer l’opinion publique européenne sur ce qui s’y passe, qu’est-ce que le gouvernement tchadien entend-il faire de concret afin que cette partie de l’Afrique puisse connaître un minimum de stabilité ?

Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR : On avait dit, il y a un moment, qu’on était en état de belligérance avec le Soudan du fait que ce pays a formé une force importante avec des moyens importants pour agresser le Tchad, pour agresser le pouvoir à N’Djamena. Cette situation s’est stabilisée avec l’intervention d’un certain nombre de pays. Je crois que nous sommes dans une phase de désescalade avec la mission que notre ministre des Affaires Étrangères vient d’effectuer au Soudan pour réaffirmer la volonté du Tchad d’aider à la résolution du problème du Darfour qui du coup permettrait peut-être de résoudre la tension entre les deux pays. La sécurité du Tchad dépend de la sécurité au Darfour et je crois que la sécurité du Darfour dépend également de la sécurité au Tchad. Les deux pays n’ont aucun intérêt à ce que la tension qui existe en ce moment puisse se poursuivre. Le Tchad est engagé dans la recherche d’une solution de paix avec le Soudan et naturellement nous attendons la réponse du Soudan par rapport aux hommes qu’il a armés puissamment et qui sont prêts à attaquer le Tchad. En fait la balle est dans le camp du Soudan en ce moment.

Ialtchad Presse : Le régime tchadien n’a-t-il pas une part de responsabilité dans cette crise ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
(Hésitation) De quelle nature ?

Ialtchad Presse : Quelle qu’elle puisse être !
Hourmadji MOUSSA DOUMGOR :
Responsabilité, non. Il y a des rébellions au Darfour certes. Des rébellions soudanaises. On a pensé que le Tchad aidait quelques factions de ces rébellions. Mais je peux vous affirmer qu’aucune de ces rébellions n’a aucune base militaire au Tchad. Voilà toute la différence. Mais dans le contexte, le Tchad a toujours mené une médiation. Évidemment il y a de rebelles qui viennent à N’Djamena, qui repartent parce que le Tchad, engagé dans le dialogue, essaye d’avoir des contacts avec les uns et les autres pour nouer le dialogue.

Ialtchad Presse : La mission de l’Union africaine pour le Soudan vient de collecter 200 millions de dollars, sur les 450 millions qu’elle souhaitait obtenir, à Bruxelles. Pensez-vous que cette mission parviendrait à mobiliser les moyens humains et logistiques nécessaires pour assurer la sécurité des populations civiles ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Cela est à voir. Les besoins sont là, sont exprimés. Ils sont défendus par le Tchad et par les organisations. Nous souhaitons simplement que les ressources soient suffisantes pour régler tous ces problèmes.

Ialtchad Presse : Le président Deby vient de limoger deux de ses ministres jeudi 20 juillet 2006 pour détournement de plusieurs dizaines de millions de francs CFA. Les deux ministres sont actuellement placés en garde à vue et devront répondre de leurs actes devant la haute cour de justice de N’Djamena. Comment interprétez-vous le comportement de vos deux collègues ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
C’est une lutte qui est engagée depuis quelques temps, avec la création du Ministère de la moralisation et du contrôle général de l’Etat. N’importe quel citoyen qui se trouverait dans cette situation sera appelé à justifier, à répondre de ses actes. Ce n’est pas parce qu’ils sont des ministres qu’ils soient épargnés. Tous les citoyens qui se mettraient dans cette situation répondront de leurs actes.

Ialtchad Presse : Vous sentez-vous solidaires d’eux ou condamnez-vous leurs actes ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Quand quelqu’un n’est pas encore jugé, je crois qu’il a la présomption d’innocence. En l’état actuel des choses, je ne peux pas les accuser d’avoir détourné ou de n’avoir pas détourné des sous.

Ialtchad Presse : Comment jugez-vous l’attitude du chef de l’Etat tchadien qui n’hésite pas à se désolidariser de ses ministres puis les mettre à la disposition de la justice lorsqu’ils commettent une faute lourde ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
C’est une question de responsabilité. Aucun citoyen n’est au-dessus de la loi. Nous avons une loi qui réprime un certain nombre de délits et dans ce contexte-là le chef de l’Etat est le garant de la justice, le garant des institutions.

Ialtchad Presse : Est-ce autant dire qu’en réprimant sans merci les délinquants qui se révèlent au sein du gouvernement, le régime voudrait-il désormais prouver sa détermination de rompre avec la mal-gouvernance et plutôt promouvoir la bonne gouvernance au Tchad ?
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Le chef de l’Etat l’a déjà réaffirmé plusieurs fois.

Ialtchad Presse : Monsieur le ministre, merci.
Hourmadji MOUSSA DOUMNGOR :
Je vous en prie et tout le plaisir est pour moi.

Propos recueillis par Mohamed Ahmed KEBIR
Correspondant Ialtchad Presse

 

 

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