D’Abéché capitale provinciale du Ouaddaï en passant par la sous-préfecture de Donia dans le Logone Oriental et maintenant à Sandanan. Les femmes se mettent de plus en plus au-devant de la scène pour réclamer justice en sortant parfois torse nu. Ce phénomène semble nouveau dans l’espèce publique au Tchad. Pour comprendre cette situation, la rédaction a recueilli l’avis de quelques analystes. Reportage.
Les conflits intercommunautaires ne cessent d’endeuiller les familles dans plusieurs provinces du Tchad. Face à cette situation qui persiste et sans aucune réponse fiable, les femmes se mettent au-devant de la scène pour exiger plus de justice. Le 24 janvier dernier, lors d’une manifestation à Abéché pour contester contre l’intronisation du chef de canton de Bani-Halba, des centaines de femmes abéchoises se sont mises au-devant de la scène pour contester la répression des forces de l’ordre. Deux semaines plus tard, c’est à Donia, dans la province du Logone occidental que les femmes ont manifesté torse nu pour contester l’intronisation du nouveau chef de canton. Lors des massacres de Sandana, le 10 février dernier, les femmes avaient pendant 2 jours marché torse nu et les mains sur la tête pour réclamer justice.
La femme tchadienne qui, pendant longtemps mise à l’écart dans les négociations des conflits intercommunautaires s’invite aux débats et ne semble pas prête pour lâcher du leste sans obtenir gain de cause.
Pour expliquer ce phénomène qui semble nouveau, surtout quand les femmes se mettent à torse nu pour manifester, le secrétaire général national du syndicat des enseignants du Tchad (SET) et natif du grand Moyen-Chari, Ngartoïdé Blaise est formel. La situation est insupportable et les femmes, en tant que mères sont les plus touchées. Selon lui, on ne peut pas apprendre à une femme comment pleurer son enfant abattu devant elle. Le SG qui a dénoncé la violence perpétrée par les forces de sécurité publique, estime que celles-ci excellent dans les défenses de la sécurité dans la sous-région, mais peinent à assurer la sécurité de sa propre population. Ngartoïdé Blaise indique que cette situation ne restera pas impunie. Il souligne que les ressortissants de cette localité passeront par les moyens légaux pour que les bourreaux soient jugés et condamnés. Selon lui, ce serait des militaires qui ont quitté le rang pour aller tirer sur les paisibles citoyens de Sandana et c’est eux qui distribuent les armes à feu aux éleveurs.
Au sujet de la manifestation des femmes de Sandana et de Koumogo torse nu, il explique que quand les femmes se mettent à nue, c’est une malédiction qui s’annonce. Pour le SG du SET, quand une femme se déshabille pour montrer ses seins, c’est un signe de malédiction. Il souligne que ceux qui ont tiré sur les populations de Sandana vont mal finir. Il promet aux autorités politiques que les rites sont faits par rapport aux femmes qui sont torses nus auront de conséquences néfastes dans les jours à venir. Ngartoïdé Blaise note que l’échec sera à tous les niveaux.
De l’avis du sociologue Mbété Félix, la nudité des femmes en public et le sang versé sont les deux interdits en pays Sara et Ngambaye. Pour l’analyste, la nudité totale ou partielle de la femme mariée en public est motivée par l’injustice du mari, du frère, de la famille ou par le manque de protection face à l’adversité et les attaques multiformes. Mbété Félix souligne que selon la tradition du groupe Sara, l’homme qui ne répare pas l’exposition de la nudité de sa femme en public ou de sa mère, s’expose à de terribles sanctions mystiques. Selon lui, le mari qui ne répare pas la nudité de sa femme en public peut être soumis à la vengeance de ses frères pour laver l’honneur de leur sœur. Mais de nos jours, précise-t-il, il ne s’agit pas seulement des femmes en milieu Sara, mais le phénomène a été aussi observé à Abéché où les femmes semblent prendre le leadership pour réclamer justice et exprimer leur ras le bol. Le sociologue note qu’à travers ces actes, elles interpellent tous les hommes et l’État tchadien qui n’arrivent pas à protéger la vie humaine sacrée. Pour lui, par ce geste, elles invitent au respect de la vie humaine et de la dignité humaine.
Jules Doukoundjé