Le débat sur la forme de l’État au Tchad ne cesse de faire couler de l’ancre dans le milieu intellectuel et politique. Dans notre série sur le Débat fédéralisme ou État unitaire, Ialtchad Presse est allé interviewer le professeur Ahmat Mahamat Hassan. Il recadre le débat en disant que ni la décentralisation ni le fédéralisme ne pourraient résoudre le problème du Tchad. Selon lui, il faut plutôt soigner la dévolution du pouvoir, la gestion de la gouvernance et le leadership. Entrevue.
Pour le professeur Ahmat Mahamat Hassan, ancien doyen de la faculté de droit de l’université Adam Barka d’Abéché et ancien ministre de la Justice, garde de sceau chargé des droits humains sous Idriss Deby Itno s’exprime sur la forme de l’État. Certains Tchadiens, soutient-il, insistent et persistent pour une nouvelle forme de l’État, le fédéralisme, dans le cadre du Dialogue national inclusif (DNI) qui s’annonce. D’autres disent non, restons dans un État fortement décentralisé. Le professeur Ahmat Mahamat Hassan estime que le débat sur l’État fortement décentralisé ou État fédéral cache l’absence de l’État et de la République égalitaire et citoyenne. Selon lui, le principe, c’est la dévolution du pouvoir où on ne trouve plus d’État régulant les rapports sociaux entre les groupes et les individus. « Il n’y a plus de République citoyenne où les individus sont égaux devant la loi en obligation et en droit », explique l’enseignant chercheur. Il souligne que c’est cette situation qui a poussé les gens à penser que la fédération pourrait être la solution.
Pour le professeur, la fédération est une alliance libre entre plusieurs États qui mettent ensemble leur destin en s’accordant sur un nouveau contrat, une constitution centrale faisant avec un partage de pouvoir. L’État fédéral s’occupe des questions plus générales : l’armée, la défense et de relations extérieures. Les états fédérés gèrent les affaires locales avec des exécutifs locaux et de parlements locaux votant des lois reflétant les réalités de chaque province. Il précise toutefois que le système fédéral ne veut pas dire l’autodétermination, ni la séparation, ni l’éclatement. L’ancien ministre de la Justice, garde des Sceaux, chargé des droits humains au temps de Idriss Deby Itno affirme que ce n’est pas aujourd’hui que le débat se pose. Ce débat a commencé depuis 1972 à la conférence de Doyaba dans la banlieue de Sarh, au sud avec le premier président François Ngarta Tombalbaye. Il rappelle que le ministre d’État chargé de la coordination à la présidence, à l’époque, Antoine Bangui parlait à la conférence de Doyaba, des exécutifs locaux et des législatifs locaux. Selon lui, Antoine Bangui parlait déjà de la Fédération sans se rendre compte, mais que c’était la décentralisation qui avait été adoptée à cette époque-là. Ahmat Mahamat Hassan qui explique le chronogramme de l’histoire de la forme de l’État note qu’en 1975, après la mort du premier président, les militaires avaient organisé une conférence à N’Djamena en 1977 à laquelle ils ont aussi adopté la décentralisation. Mais, il ajoute que cette décentralisation n’a jamais été expérimentée. Le professeur affirme qu’en 1981, le président du gouvernement national de transition, Goukouni Weddey a organisé à Douguiya, à 80 km de la capitale, N’Djamena, une conférence sur le Tchad et son devenir. Et que cette conférence avait opté pour la décentralisation. L’enseignant chercheur est aussi revenu sur la conférence nationale souveraine de 1993 qui a aussi opté pour un État avec cette fois-ci le qualificatif « fortement décentralisé ».
A la question de la décentralisation, Ahmat Mahamat Hassan répond que c’est une forme de gestion de l’État à la française. L’État central est responsable de la gestion des compétences générales couvrant l’ensemble du pays et accorde à des collectivités territoriales décentralisées, dotées des organes, mais qui n’ont pas de pouvoir législatif. Selon lui, la décentralisation donne la primauté à l’État central. Il souligne qu’on a créé des régions par décret, des départements et des communes, mais on n’a pas adopté la décentralisation dans son sens strict. « Maintenant, nous sommes à la veille d’un dialogue inclusif, tout le monde s’accorde à dire, peut-être que le fédéralisme pourrait apporter une solution », estime le professeur. De l’avis du chercheur, le fédéralisme ne veut pas dire l’autodétermination des régions, des groupes ou des ethnies. L’ancien ministre évoque aussi la question de la dévolution du pouvoir qui devrait être par le moyen pacifique du vote et du libre consentement des citoyens tchadiens n’a jamais eu lieu contrairement aux pays africains.
« Ni la décentralisation ni le fédéralisme ne pourraient apporter une solution à la question du vivre ensemble des tchadiens. »
En décortiquant toutes les conférences, de 1972 à la conférence nationale souveraine de 1993 sur la forme de l’État, le professeur Ahmat Mahamat Hassan s’interroge si la forme de l’État pouvait régler le problème de vivre ensemble des Tchadiens dans le respect et surtout dans la justice sociale. « Je ne suis pas sûr que la forme de l’État pourrait régler tous ces problèmes », ajoute-t-il. Selon lui, chaque forme de l’État, que ça soit la décentralisation ou le fédéralisme ont leur logique et que cette logique a un niveau central qui contrôle la défense et l’armée. Il affirme que ni la décentralisation ni le fédéralisme ne pourraient apporter une réponse à la question du vivre ensemble des tchadiens.
Solutions
Le professeur suggère que pour régler le problème de vivre ensemble des Tchadiens, il faut soigner la dévolution du pouvoir, la gestion de la gouvernance et le leadership. Selon lui, le Tchad a manqué de leadership. Il propose qu’on arrête la prise du pouvoir par les armes. L’enseignant chercheur indique que la prise du pouvoir par les armes pousse les membres du clan de celui qui est au pouvoir à utiliser les biens de l’État comme leurs propres biens. Il précise que la constitution de 1996 interdit bien dans son préambule « tout groupe ou tout individu qui gouverne au Tchad par la violence, par le népotisme, le tribalisme ou la division » sans cela, le pays ne va pas trouver de solutions et la forme de l’État n’est pas une solution.
Jules Doukoundjé